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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

dement, je ne m’empresserai pas aux larmes comme à une vengeance, je ne jugerai pas les actions que j’approuvais autrefois sans contrôle, je n’attacherai point un œil curieux à ses pas ; s’il s’échappe, au retour il ne trouvera pas une bouche impérieuse, dont le baiser soit un ordre sans réplique Non ! mon silence ne sera pas une plainte, et ma parole ne sera pas une querelle !… » Je ne serai pas vulgaire, se disait-elle en posant sur sa table le petit volume jaune qui déjà lui avait valu ce mot de Lousteau : — Tiens ? tu lis Adolphe !… N’eussé-je qu’un jour où il reconnaîtra ma valeur et où il se dira : Jamais la victime n’a crié ! ce serait assez ! D’ailleurs, les autres n’auront que des moments, et moi j’aurai toute sa vie !

En se croyant autorisé par la conduite de sa femme à la punir au tribunal domestique, monsieur de La Baudraye eut la délicatesse de la voler pour achever sa grande entreprise de la mise en culture des douze cents hectares de brandes, à laquelle, depuis 1836, il consacrait ses revenus en vivant comme un rat. Il manipula si bien les valeurs laissées par monsieur Silas Piédefer, qu’il put réduire la liquidation authentique à huit cent mille francs, tout en en rapportant douze cent mille. Il n’annonça point son retour à sa femme ; mais, pendant qu’elle souffrait des maux inouïs, il bâtissait des fermes, il creusait des fossés, il plantait des arbres, il se livrait à des défrichements audacieux qui le firent regarder comme un des agronomes les plus distingués du Berry. Les quatre cent mille francs, pris à sa femme, passèrent en trois ans à cette opération, et la terre d’Anzy dut, dans un temps donné, rapporter soixante-douze mille francs de rentes, nets d’impôts. Quant aux huit cent mille francs, il en fit emploi en quatre et demi pour cent, à quatre-vingts francs, grâce à la crise financière due au Ministère dit du Premier Mars. En procurant ainsi quarante-huit mille francs de rentes à sa femme, il se regarda comme quitte envers elle. Ne pouvait-il pas lui représenter les douze cent mille francs le jour où le quatre et demi dépasserait cent francs. Son importance ne fut plus primée à Sancerre que par celle du plus riche propriétaire foncier de France dont il se faisait le rival. Il se voyait cent quarante mille francs de rente, dont quatre-vingt-dix en fonds de terres formant son majorat. Après avoir calculé qu’à part ses revenus, il payait dix mille francs d’impôts, trois mille francs de frais, dix mille francs à sa femme et douze cents à sa belle-mère, il disait en pleine Société