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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

avons chacun échangé notre avenir, sacrifice contre sacrifice. Pendant que j’aimais à Sancerre, on me mariait ici ; mais je résistais… va, j’étais bien malheureux.

— Oh ! je pars ! s’écria Dinah en se dressant comme une folle et faisant deux pas vers la porte.

— Tu resteras, ma Didine, tout est fini. Va ! cette fortune est-elle à si bon marché ? ne dois-je pas épouser une grande blonde dont le nez est sanguinolent, la fille d’un notaire, et endosser une belle-mère qui rendrait des points à madame Piédefer en fait de dévotion…

Paméla se précipita dans le salon, et vint dire à l’oreille de Lousteau : — Madame Schontz !…

Lousteau se leva, laissa Dinah sur le divan et sortit.

— Tout est fini, mon bichon, lui dit la lorette. Cardot ne veut pas se brouiller avec sa femme à cause d’un gendre. La dévote a fait une scène… une scène sterling ! Enfin, le premier clerc actuel, qui était second premier clerc depuis deux ans, accepte la fille et l’Étude.

— Le lâche ! s’écria Lousteau. Comment, en deux heures, il a pu se décider.

— Mon Dieu, c’est bien simple. Le drôle, qui avait les secrets du premier clerc défunt, a deviné la position du patron en saisissant quelques mots de la querelle avec madame Cardot. Le notaire compte sur ton honneur et sur ta délicatesse, car tout est convenu. Le clerc, dont la conduite est excellente, il se donnait le genre d’aller à la messe ! un petit hypocrite fini, quoi ! plaît à la notaresse. Cardot et toi, vous resterez amis. Il va devenir directeur d’une compagnie financière immense, il pourra te rendre service. Ah ! tu te réveilles d’un beau rêve.

— Je perds une fortune, une femme, et…

— Une maîtresse, dit madame Schontz en souriant, car te voilà plus que marié, tu seras embêtant, tu voudras rentrer chez toi, tu n’auras plus rien de décousu, ni dans tes habits, ni dans tes allures… Laisse-la-moi voir par le trou de la porte ?… demanda la lorette. Il n’y a pas, s’écria-t-elle, de plus bel animal dans le désert ! tu es volé ! C’est digne, c’est sec, c’est pleurard, il lui manque le turban de lady Dudley.

Et la lorette se sauva.

— Qu’y a-t-il encore ?… demanda madame de La Baudraye à