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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Bah ! nous nous marierons, quand nous voudrons nous occuper de notre mariage, autant que nous nous occupons d’un drame ou d’un livre, disait Nathan.

— Et Florine ? répondait Bixiou.

— Nous avons tous une Florine, disait Étienne en jetant son bout de cigare sur le gazon et pensant à madame Schontz.

Madame Schontz était une femme assez jolie pour pouvoir vendre très cher l’usufruit de sa beauté, tout en en conservant la nue propriété à Lousteau, son ami de cœur. Comme toutes ces femmes qui, du nom de l’église autour de laquelle elles se sont groupées, ont été nommées Lorettes, elle demeurait rue Fléchier, à deux pas de Lousteau. Cette Lorette trouvait une jouissance d’amour-propre à narguer ses amies en se disant aimée par un homme d’esprit. Ces détails sur la vie et les finances de Lousteau sont nécessaires ; car cette pénurie et cette existence de Bohémien à qui le luxe parisien était indispensable, devaient cruellement influer sur l’avenir de Dinah.

Ceux à qui la Bohême de Paris est connue comprendront alors comment, au bout de quinze jours, le journaliste, replongé dans son milieu littéraire, pouvait rire de sa baronne, entre amis, et même avec madame Schontz. Quant à ceux qui trouveront ces procédés infâmes, il est à peu près inutile de leur en présenter des excuses inadmissibles.

— Qu’as-tu fait à Sancerre, demanda Bixiou à Lousteau quand ils se rencontrèrent.

— J’ai rendu service à trois braves provinciaux, un Receveur des contributions, un petit cousin, et un Procureur du Roi qui tournaient depuis dix ans, répondit-il, autour d’une de ces cent et une dixièmes muses qui ornent les départements, sans y plus toucher qu’on ne touche à un plat monté du dessert, jusqu’à ce qu’un esprit fort y donne un coup de couteau…

— Pauvre garçon ! disait Bixiou, je disais bien que tu allais à Sancerre pour y mettre ton esprit au vert.

— Ton calembour est aussi détestable que ma muse est belle, mon cher, répliqua Lousteau. Demande à Bianchon.

— Une muse et un poète, répondit Bixiou, ton aventure est alors un traitement homœopathique.

Le dixième jour, Lousteau reçut une lettre timbrée de Sancerre.

— Bien ! bien ! fit Lousteau. « Ami chéri, idole de mon cœur et de mon âme… » Vingt pages d’écriture ! une par jour et datée