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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

— Les sens et la vanité sont pour tant de chose dans l’amour, que toutes ces suppositions peuvent être vraies, répondit Lousteau. Mais si je reste c’est à cause du certificat d’innocence instruite que tu donnes à Dinah ! Elle est belle, n’est-ce pas ?

— Elle deviendra charmante en aimant, dit le médecin. Puis, après tout, ce sera un jour ou l’autre une riche veuve ! Et un enfant lui vaudrait la jouissance de la fortune du sire de La Baudraye…

— Mais c’est une bonne action que de l’aimer, cette femme, s’écria Lousteau.

— Une fois mère, elle reprendra de l’embonpoint, les rides s’effaceront, elle paraîtra n’avoir que vingt ans…

— Eh ! bien, fit Lousteau en se roulant dans ses draps, si tu veux m’aider, demain, oui, demain, je… Enfin, bonsoir.

Le lendemain, madame de La Baudraye, à qui depuis six mois son mari avait donné des chevaux dont il se servait pour ses labours et une vieille calèche qui sonnait la ferraille, eut l’idée de reconduire Bianchon jusqu’à Cosne où il devait aller prendre la diligence de Lyon à son passage. Elle emmena sa mère et Lousteau ; mais elle se proposa de laisser sa mère à La Baudraye, de se rendre à Cosne avec les deux Parisiens et d’en revenir seule avec Étienne. Elle fit une charmante toilette que lorgna le journaliste : brodequins bronzés, bas de soie gris, une robe d’organdi, une mantille de dentelle noire et une charmante capote de gaze noire, ornée de fleurs. Quant à Lousteau, le drôle s’était mis sur le pied de guerre : bottes vernies, pantalon d’étoffe anglaise plissé par-devant, un gilet très-ouvert qui laissait voir une chemise extrafine, et les cascades de satin noir broché de sa plus belle cravate, une redingote noire, très-courte et très-légère.

Le Procureur du Roi et monsieur Gravier se regardèrent assez singulièrement quand ils virent les deux Parisiens dans la calèche, et eux comme deux niais au bas du perron. Monsieur de La Baudraye, qui du haut de la dernière marche faisait au docteur un petit salut de sa petite main, ne put s’empêcher de sourire en entendant monsieur de Clagny disant à monsieur Gravier : — Vous auriez dû les accompagner à cheval.

En ce moment Gatien, monté sur la tranquille jument de monsieur de La Baudraye, déboucha par l’allée qui conduisait aux écuries et rejoignit la calèche.