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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

— Dam ! elles sont curieuses, fit la châtelaine en commentant son mot par un petit geste d’épaules.

— Elles ressemblent à ces amateurs qui vont aux secondes représentations, sûrs que la pièce ne tombera pas, répliqua le journaliste.

— Quelle est donc la cause de vos maux ? demanda Bianchon.

— Paris est le monstre qui fait nos chagrins, répondit la femme supérieure. Le mal a sept lieues de tour et afflige le pays tout entier. La province n’existe pas par elle-même. Là seulement où la nation est divisée en cinquante petits États, là chacun peut avoir une physionomie, et une femme reflète alors l’éclat de la sphère où elle règne. Ce phénomène social se voit encore, m’a-t-on dit, en Italie, en Suisse et en Allemagne ; mais en France, comme dans tous les pays à capitale unique, l’aplatissement des mœurs sera la conséquence forcée de la centralisation.

— Les mœurs, selon vous, ne prendraient alors du ressort et de l’originalité que par une fédération d’États français formant un même empire, dit Lousteau.

— Ce n’est peut-être pas à désirer, car la France aurait encore à conquérir trop de pays, dit Bianchon.

— L’Angleterre ne connaît pas ce malheur, s’écria Dinah. Londres n’y exerce pas la tyrannie que Paris fait peser sur la France, et à laquelle le génie français finira par remédier ; mais elle a quelque chose de plus horrible dans son atroce hypocrisie, qui est un bien autre mal !

— L’aristocratie anglaise, reprit le journaliste qui prévit une tartine byronienne et qui se hâta de prendre la parole, a sur la nôtre l’avantage de s’assimiler toutes les supériorités, elle vit dans ses magnifiques parcs, elle ne vient à Londres que pendant deux mois, ni plus ni moins ; elle vit en province, elle y fleurit et la fleurit.

— Oui, dit madame de La Baudraye, Londres est la capitale des boutiques et des spéculations, on y fait le gouvernement. L’aristocratie s’y recorde seulement pendant soixante jours, elle y prend ses mots d’ordre, elle donne son coup d’œil à sa cuisine gouvernementale, elle passe la revue de ses filles à marier et des équipages à vendre, elle se dit bonjour, et s’en va promptement : elle est si peu amusante qu’elle ne se supporte pas elle-même plus que les quelques jours nommés la saison.

— Aussi, dans la perfide Albion du Constitutionnel, s’écria Lousteau pour réprimer par une épigramme cette prestesse de lan-