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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Elle a pourtant quitté Séville la joyeuse,
Ses bois et ses champs d’orangers,
Pour un soldat normand qui la fit amoureuse
Et l’entraîna dans ses foyers.

Elle ne pleurait rien de son Andalousie,
Ce soldat était son bonheur !
..............
Mais il fallut un jour partir pour la Russie
Sur les pas du grand Empereur.

Rien de plus délicat que la peinture des adieux de l’Espagnole et du capitaine d’artillerie normand qui, dans le délire d’une passion rendue avec un sentiment digne de Byron, exigeait de Paquita une promesse de fidélité absolue, dans la cathédrale de Rouen, à l’autel de la Vierge, qui

Quoique vierge est femme, et jamais ne pardonne
Aux traîtres en serments d’amour.

Une grande portion du poème était consacrée à la peinture des souffrances de Paquita seule dans Rouen, attendant la fin de la campagne ; elle se tordait aux barreaux de ses fenêtres en voyant passer de joyeux couples, elle contenait l’amour dans son cœur avec une énergie qui la dévorait, elle vivait de narcotiques, elle se dépensait en rêves !

Elle faillit mourir, mais elle fut fidèle.
Quand son soldat fut de retour,
À la fin de l’année il retrouva la belle
Digne encor de tout son amour.
Mais lui, pâle et glacé par la froide Russie
Jusque dans la moelle des os,
Accueillit tristement sa languissante amie…
..............

Le poème avait été conçu pour cette situation exploitée avec une verve, une audace qui donnait un peu trop raison à l’abbé Duret. Paquita, en reconnaissant les limites où finissait l’amour, ne se jetait pas, comme Héloïse et Julie, dans l’infini, dans l’idéal ; non, elle allait, ce qui peut-être est atrocement naturel, dans la voie du Vice, mais sans aucune grandeur, faute d’éléments, car il est difficile de trouver à Rouen des gens assez passionnés pour mettre une Paquita dans son milieu de luxe et d’élégance. Cette affreuse réa-