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— Portez-leur cent vingt. (Sans vin.)

— Joli calembour. Il est non-seulement très-fort, mais encore très-spirituel.

— Non, spiritueux, monsieur.

— De plus fort en plus fort, comme chez Nicolet.

— Je suis comme cela, dit le fou. Venez voir mon clos ?

— Volontiers, dit Gaudissart, ce vin porte singulièrement à la tête.

Et l’illustre Gaudissart sortit avec monsieur Margaritis qui le promena de provin en provin, de cep en cep, dans ses vignes. Les trois dames et monsieur Vernier purent alors rire à leur aise, en voyant de loin, le Voyageur et le fou discutant, gesticulant, s’arrêtant, reprenant leur marche, parlant avec feu.

— Pourquoi le bonhomme nous l’a-t-il donc emmené ? dit Vernier.

Enfin Margaritis revint avec le Commis-Voyageur, en marchant tous deux d’un pas accéléré comme des gens empressés de terminer une affaire.

— Le bonhomme a, fistre, bien enfoncé le Parisien !… dit monsieur Vernier.

Et, de fait, l’Illustre Gaudissart écrivit sur le bout d’une table à jouer, à la grande joie du bonhomme, une demande de livraison des deux pièces de vin. Puis, après avoir lu l’engagement du Voyageur, monsieur Margaritis lui donna sept francs pour un abonnement au journal des Enfants.

— À demain donc, monsieur, dit l’illustre Gaudissart en faisant tourner sa clef de montre, j’aurai l’honneur de venir vous prendre demain. Vous pourrez expédier directement le vin à Paris, à l’adresse indiquée, et vous ferez suivre en remboursement.

Gaudissart était Normand, et il n’y avait jamais pour lui d’engagement qui ne dût être bilatéral : il voulut un engagement de monsieur Margaritis, qui, content comme l’est un fou de satisfaire son idée favorite, signa, non sans lire, un bon à livrer deux pièces de vin du clos Margaritis. Et l’Illustre Gaudissart s’en alla sautillant, chanteronnant le Roi des mers, prends plus bas ! à l’auberge du Soleil-d’Or, où il causa naturellement avec l’hôte en attendant le dîner. Mitouflet était un vieux soldat naïvement rusé comme le sont les paysans, mais ne riant jamais d’une plaisanterie, en homme accoutumé à entendre le canon et à plaisanter sous les armes.