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plus élevées de la spéculation parisienne. Il abandonna, disait-il, la matière pour la pensée, les produits manufacturés pour les élaborations infiniment plus pures de l’intelligence. Ceci veut une explication.

Le déménagement de 1830 enfanta, comme chacun le sait, beaucoup de vieilles idées, que d’habiles spéculateurs essayèrent de rajeunir. Depuis 1830, plus spécialement, les idées devinrent des valeurs ; et, comme l’a dit un écrivain assez spirituel pour ne rien publier, on vole aujourd’hui plus d’idées que de mouchoirs. Peut-être, un jour, verrons-nous une Bourse pour les idées ; mais déjà, bonnes ou mauvaises, les idées se cotent, se récoltent, s’importent, se portent, se vendent, se réalisent et rapportent. S’il ne se trouve pas d’idées à vendre, la Spéculation tâche de mettre des mots en faveur, leur donne la consistance d’une idée, et vit de ses mots comme l’oiseau de ses grains de mil. Ne riez pas ! Un mot vaut une idée dans un pays où l’on est plus séduit par l’étiquette du sac que par le contenu. N’avons-nous pas vu la Librairie exploitant le mot pittoresque, quand la littérature eut tué le mot fantastique. Aussi le Fisc a-t-il deviné l’impôt intellectuel, il a su parfaitement mesurer le champ des Annonces, cadastrer les Prospectus, et peser la pensée, rue de la Paix, hôtel du Timbre. En devenant une exploitation, l’intelligence et ses produits devaient naturellement obéir au mode employé par les exploitations manufacturières. Donc, les idées conçues, après boire, dans le cerveau de quelques-uns de ces Parisiens en apparence oisifs, mais qui livrent des batailles morales en vidant bouteille ou levant la cuisse d’un faisan, furent livrées, le lendemain de leur naissance cérébrale, à des Commis-Voyageurs chargés de présenter avec adresse, urbi et orbi, à Paris et en province, le lard grillé des Annonces et des Prospectus, au moyen desquels se prend, dans la souricière de l’entreprise, ce rat départemental, vulgairement appelé tantôt l’abonné, tantôt l’actionnaire, tantôt membre correspondant, quelquefois souscripteur ou protecteur, mais partout un niais.

— Je suis un niais ! a dit plus d’un pauvre propriétaire attiré par la perspective d’être fondateur de quelque chose, et qui, en définitive, se trouve avoir fondu mille ou douze cents francs.

— Les abonnés sont des niais qui ne veulent pas comprendre que, pour aller en avant dans le royaume intellectuel, il faut plus d’argent que pour voyager en Europe, etc., dit le spéculateur.