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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Giroudeau, ne pouvaient se venger, il avait eu la maladresse de blesser Bixiou qui, grâce à son esprit, était reçu partout, et qui ne pardonnait guère. En plein Rocher de Cancale, devant des gens sérieux qui soupaient, Philippe avait dit à Bixiou qui lui demandait à venir à l’hôtel de Brambourg : — Tu viendras chez moi quand tu seras ministre !…

— Faut-il me faire protestant pour aller chez toi ? répondit Bixiou en badinant ; mais il se dit en lui-même : — Si tu es un Goliath, j’ai ma fronde et je ne manque pas de cailloux.

Le lendemain, le mystificateur s’habilla chez un acteur de ses amis et fut métamorphosé, par la toute-puissance du costume, en un prêtre à lunettes vertes qui se serait sécularisé ; puis, il prit un remise et se fit conduire à l’hôtel de Soulanges. Bixiou, traité de farceur par Philippe, voulait lui jouer une farce. Admis par monsieur de Soulanges, sur son insistance à vouloir parler d’une affaire grave, Bixiou joua le personnage d’un homme vénérable chargé de secrets importants. Il raconta, d’un son de voix factice, l’histoire de la maladie de la comtesse morte dont l’horrible secret lui avait été confié par Bianchon, l’histoire de la mort d’Agathe, l’histoire de la mort du bonhomme Rouget dont s’était vanté le comte de Brambourg, l’histoire de la mort de la Descoings, l’histoire de l’emprunt fait à la caisse du journal et l’histoire des mœurs de Philippe dans ses mauvais jours.

— Monsieur le comte, ne lui donnez votre fille qu’après avoir pris tous vos renseignements ; interrogez ses anciens camarades, Bixiou, le capitaine Giroudeau, etc.

Trois mois après, le colonel comte de Brambourg donnait à souper chez lui à du Tillet, à Nucingen, à Rastignac, à Maxime de Trailles et à de Marsay. L’amphitryon acceptait très-insouciamment les propos à demi consolateurs que ses hôtes lui adressaient sur sa rupture avec la maison de Soulanges.

— Tu peux trouver mieux, lui disait Maxime.

— Quelle fortune faudrait-il pour épouser une demoiselle de Grandlieu ? demanda Philippe à de Marsay.

— À vous ?… On ne donnerait pas la plus laide des six à moins de dix millions, répondit insolemment de Marsay.

— Bah ! dit Rastignac, avec deux cent mille livres de rente, vous auriez mademoiselle de Langeais, la fille du marquis ; elle est laide, elle a trente ans, et pas un sou de dot : ça doit vous aller.