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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

outre mes trente francs de garde, et, comme elle veut se faire périr avec du charbon : Ca n’est pas bien, que je lui dis… même que j’ai dit à la portière de la veiller pendant que je m’absente, parce qu’elle est capable de se jeter par la croisée.

— Mais qu’a-t-elle ? dit Joseph.

— Ah ! monsieur, le médecin des sœurs est venu, mais rapport à la maladie, fit madame Gruget en prenant un air pudibond, il a dit qu’il fallait la porter à l’hospice… le cas est mortel.

— Nous y allons, fit Bixiou.

— Tenez, dit Joseph, voilà dix francs.

Après avoir plongé la main dans la fameuse tête de mort pour prendre toute sa monnaie, le peintre alla rue Mazarine, monta dans un fiacre, et se rendit chez Bianchon qu’il trouva très-heureusement chez lui, pendant que, de son côté, Bixiou courait, rue de Bussy, chercher leur ami Desroches. Les quatre amis se retrouvèrent une heure après rue du Houssay.

— Ce Méphistophélès à cheval nommé Philippe Bridau, dit Bixiou à ses trois amis en montant l’escalier, a drôlement mené sa barque pour se débarrasser de sa femme. Vous savez que notre ami Lousteau, très-heureux de recevoir un billet de mille francs par mois de Philippe, a maintenu madame Bridau dans la société de Florine, de Mariette, de Tullia, de la Val-Noble. Quand Philippe a vu sa Rabouilleuse habituée à la toilette et aux plaisirs coûteux, il ne lui a plus donné d’argent, et l’a laissée s’en procurer… vous comprenez comment ? Philippe, au bout de dix-huit mois, a fait ainsi descendre sa femme, de trimestre en trimestre, toujours un peu plus bas ; enfin, au moyen d’un jeune sous-officier superbe, il lui a donné le goût des liqueurs. À mesure qu’il s’élevait, sa femme descendait, et la comtesse est maintenant dans la boue. Cette fille, née aux champs, a la vie dure, je ne sais pas comment Philippe s’y est pris pour se débarrasser d’elle. Je suis curieux d’étudier ce petit drame-là, car j’ai à me venger du camarade. Hélas ! mes amis ! dit Bixiou d’un ton qui laissait ses trois compagnons dans le doute s’il plaisantait ou s’il parlait sérieusement, il suffit de livrer un homme à un vice pour se défaire de lui. Elle aimait trop le bal et c’est ce qui l’a tuée !… a dit Hugo. Voilà ! Ma grand’mère aimait la loterie et Philippe l’a tuée par la loterie ! Le père Rouget aimait la gaudriole et Lolotte l’a tué ! Madame Bridau, pauvre femme, aimait Philippe, elle a péri par lui !… Le Vice ! le