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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Dans le cas où vous voudriez m’honorer d’un secours, et juger par vous-même de la misère où je suis, je demeure rue du Houssay, au coin de la rue Chantereine, au cinquième. Si demain je ne paye pas mes loyers arriérés, il faut sortir ! Et où aller, monsieur ?… Puis-je me dire

Votre belle-sœur,
Comtesse Flore de Brambourg. »

— Quelle fosse pleine d’infamies ! dit Joseph, qu’est-ce qu’il y a là-dessous ?

— Faisons d’abord venir la femme, ça doit être une fameuse préface de l’histoire, dit Bixiou.

Un instant après, apparut une femme que Bixiou désigna par ces mots : des guenilles qui marchent ! C’était, en effet, un tas de linge et de vieilles robes les unes sur les autres, bordées de boue à cause de la saison, tout cela monté sur de grosses jambes à pieds épais, mal enveloppés de bas rapiécés et de souliers qui dégorgeaient l’eau par leurs lézardes. Au-dessus de ce monceau de guenilles s’élevait une de ces têtes que Charlet a données à ses balayeuses, et caparaçonnée d’un affreux foulard usé jusque dans ses plis.

— Votre nom ? dit Joseph pendant que Bixiou croquait la femme appuyée sur un parapluie de l’an II de la République.

— Madame Gruget, pour vous servir. J’ai évu des rentes, mon petit monsieur, dit-elle à Bixiou dont le rire sournois l’offensa. Si ma pôv’fille n’avait pas eu l’accident d’aimer trop quelqu’un, je serais autrement que me voilà. Elle s’est jetée à l’eau, sous votre respect, ma pôv’Ida ! J’ai donc évu la bêtise de nourrir un quaterne ; c’est pourquoi, mon cher monsieur, à soizante-dix-sept ans, je garde les malades à raison de dix sous par jour, et nourrie…

— Pas habillée ! dit Bixiou. Ma grand-mère s’habillait, elle ! en nourrissant son petit bonhomme de terne.

— Mais, sur mes dix sous, il faut payer un garni…

— Qu’est-ce qu’elle a, la dame que vous gardez ?

— Elle n’a rien, monsieur, en fait de monnaie, s’entend ! car elle a une maladie à faire trembler les médecins… Elle me doit soixante jours, voilà pourquoi je continue à la garder. Le mari, qui est un comte, car elle est comtesse, me payera sans doute mon mémoire quand elle sera morte ; pour lorsse, je lui ai donc avancé tout ce que j’avais… mais je n’ai plus rien : j’ai mis tous mes effets au mau pi-é-té !.. Elle me doit quarante-sept francs douze sous.