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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

— Ah ! Joseph ! me pardonneras-tu, mon enfant ? s’écria-t-elle.

— Eh ! quoi ? dit l’artiste.

— Je ne t’ai pas aimé comme tu méritais de l’être…

— En voilà une charge ? s’écria-t-il. Vous ne m’avez pas aimé ?… Depuis sept ans ne vivons-nous pas ensemble ? Depuis sept ans n’es-tu pas ma femme de ménage ? Est-ce que je ne te vois pas tous les jours ? Est-ce que je n’entends pas ta voix ? Est-ce que tu n’es pas la douce et l’indulgente compagne de ma vie misérable ? Tu ne comprends pas la peinture ?… Eh ! mais ça ne se donne pas ! Et moi qui disais hier à Grassou : — Ce qui me console au milieu de mes luttes, c’est d’avoir une bonne mère ; elle est ce que doit être la femme d’un artiste, elle a soin de tout, elle veille à mes besoins matériels sans faire le moindre embarras…

— Non, Joseph, non, tu m’aimais, toi ! et je ne te rendais pas tendresse pour tendresse. Ah ! comme je voudrais vivre !… donne-moi ta main ?…

Agathe prit la main de son fils, la baisa, la garda sur son cœur, et le contempla pendant longtemps en lui montrant l’azur de ses yeux resplendissant de la tendresse qu’elle avait réservée jusqu’alors à Philippe. Le peintre, qui se connaissait en expression, fut si frappé de ce changement, il vit si bien que le cœur de sa mère s’ouvrait pour lui, qu’il la prit dans ses bras, la tint pendant quelques instants serrée, en disant comme un insensé : — Ô ma mère ! ma mère !

— Ah ! je me sens pardonnée ! dit-elle. Dieu doit confirmer le pardon d’un enfant à sa mère !

— Il te faut du calme, ne te tourmente pas, voilà qui est dit : je me sens aimé pendant ce moment pour tout le passé, s’écria Joseph en replaçant sa mère sur l’oreiller.

Pendant les deux semaines que dura le combat entre la vie et la mort chez cette sainte créature, elle eut pour Joseph des regards, des mouvements d’âme et des gestes où éclatait tant d’amour qu’il semblait que, dans chacune de ses effusions, il y eût toute une vie… La mère ne pensait plus qu’à son fils, elle se comptait pour rien ; et, soutenue par son amour, elle ne sentait plus ses souffrances. Elle eut de ces mots naïfs comme en ont les enfants. D’Arthez, Michel Chrestien, Fulgence Ridal, Pierre Grassou, Bianchon venaient tenir compagnie à Joseph, et discutaient souvent à voix basse dans la chambre de la malade.