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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

grandes facultés ; mais il a reconnu combien le défaut de conduite nuisait à un homme qui veut parvenir ; et il a de l’ambition, j’en suis sûre ; aussi ne suis-je pas la seule à prévoir son avenir. Monsieur Hochon croit fermement que Philippe a de belles destinées.

— Oh ! s’il veut appliquer son intelligence profondément perverse à faire fortune, il arrivera, car il est capable de tout, et ces gens-là vont vite, dit Desroches.

— Pourquoi n’arriverait-il pas par des moyens honnêtes ? demanda madame Bridau.

— Vous verrez ! fit Desroches. Heureux ou malheureux, Philippe sera toujours l’homme de la rue Mazarine, l’assassin de madame Descoings, le voleur domestique ; mais, soyez tranquille : il paraîtra très honnête à tout le monde !

Le lendemain du mariage, après le déjeuner, Philippe prit madame Rouget par le bras quand son oncle se fut levé pour aller s’habiller, car ces nouveaux époux étaient descendus, Flore en peignoir, le vieillard en robe de chambre.

— Ma belle-tante, dit-il en l’emmenant dans l’embrasure de la croisée, vous êtes maintenant de la famille. Grâce à moi, tous les notaires y ont passé. Ah ! çà, pas de farces. J’espère que nous jouerons franc jeu. Je connais les tours que vous pourriez me faire, et vous serez gardée par moi mieux que par une duègne. Ainsi, vous ne sortirez jamais sans me donner le bras, et vous ne me quitterez point. Quant à ce qui peut se passer à la maison, je m’y tiendrai, sacrebleu, comme une araignée au centre de sa toile. Voici qui vous prouvera que je pouvais, pendant que vous étiez dans votre lit, hors d’état de remuer ni pied ni patte, vous faire mettre à la porte sans un sou. Lisez ?

Et il tendit la lettre suivante à Flore stupéfaite :

« Mon cher enfant, Florentine, qui vient enfin de débuter à l’Opéra, dans la nouvelle salle, par un pas de trois avec Mariette et Tullia, n’a pas cessé de penser à toi, ainsi que Florine, qui définitivement a lâché Lousteau pour prendre Nathan. Ces deux matoises t’ont trouvé la plus délicieuse créature du monde, une petite fille de dix-sept ans, belle comme une Anglaise, l’air sage comme une lady qui fait ses farces, rusée comme Desroches, fidèle comme Godeschal ; et Mariette l’a stylée en te souhaitant bonne chance. Il n’y a pas de femme qui puisse tenir contre ce petit ange sous