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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Nous savons ce qui se passe, dit la vieille dame les yeux pleins de larmes, et je viens vous supplier de ne pas sortir demain sans faire vos prières… Élevez votre âme à Dieu.

— Oui, madame, répondit Philippe à qui le vieil Hochon fit un signe en se tenant derrière sa femme.

— Ce n’est pas tout ! dit la marraine d’Agathe, je me mets à la place de votre pauvre mère, et je me suis dessaisi de ce que j’avais de plus précieux, tenez !… Elle tendit à Philippe une dent fixée sur un velours noir bordé d’or, auquel elle avait cousu deux rubans verts, et la remit dans un sachet après la lui avoir montrée. — C’est une relique de sainte Solange, la patronne du Berry ; je l’ai sauvée à la Révolution ; gardez cela sur votre poitrine demain matin.

— Est-ce que ça peut préserver des coups de sabre ? demanda Philippe.

— Oui, répondit la vieille dame.

— Je ne peux pas plus avoir ce fourniment-là sur moi qu’une cuirasse, s’écria le fils d’Agathe.

— Que dit-il ? demanda madame Hochon à son mari.

— Il dit que ce n’est pas de jeu, répondit le vieil Hochon.

— Eh ! bien, n’en parlons plus, fit la vieille dame. Je prierai pour vous.

— Mais, madame, une prière et un bon coup de pointe, ça ne peut pas nuire, dit le colonel en faisant le geste de percer le cœur à monsieur Hochon.

La vieille dame voulut embrasser Philippe sur le front. Puis en descendant, elle donna dix écus, tout ce qu’elle possédait d’argent, à Benjamin pour obtenir de lui qu’il cousît la relique dans le gousset du pantalon de son maître. Ce que fit Benjamin, non qu’il crût à la vertu de cette dent, car il dit que son maître en avait une bien meilleure contre Gilet ; mais parce qu’il devait s’acquitter d’une commission si chèrement payée. Madame Hochon se retira pleine de confiance en sainte Solange.

À huit heures, le lendemain, 3 décembre, par un temps gris, Max, accompagné de ses deux témoins et du Polonais, arriva sur le petit pré qui entourait alors le chevet de l’ancienne église des Capucins. Ils y trouvèrent Philippe et les siens, avec Benjamin. Potel et Mignonnet mesurèrent vingt-quatre pieds. À chaque bout de cette distance, les deux soldats tracèrent deux lignes à l’aide d’une bêche. Sous peine de lâcheté, les adversaires ne pouvaient reculer au delà