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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

manda Max en dirigeant sur Philippe un regard qui fut comme un courant électrique.

— Prenez-le comme vous le voudrez, commandant Gilet, répondit Philippe.

— Colonel, mes deux amis que voici, Renard et Potel, iront s’entendre demain, avec…

— Avec Mignonnet et Carpentier, répondit Philippe en coupant la parole à Gilet et montrant ses deux voisins.

— Maintenant, dit Max, continuons les santés ?

Chacun des deux adversaires n’était pas sorti du ton ordinaire de la conversation, il n’y eut de solennel que le silence dans lequel on les écouta.

— Ah ! çà, vous autres, dit Philippe en jetant un regard sur les simples soldats, songez que nos affaires ne regardent pas les bourgeois !… Pas un mot sur ce qui vient de se passer. Ça doit rester entre la Vieille-Garde.

— Ils observeront la consigne, colonel, dit Renard, j’en réponds.

— Vive son petit ! Puisse-t-il régner sur la France ! s’écria Potel.

— Mort à l’Anglais ! s’écria Carpentier.

Ce toast eut un succès prodigieux.

— Honte à Hudson-Lowe ! dit le capitaine Renard.

Le dessert se passa très bien, les libations furent très amples. Les deux antagonistes et leurs quatre témoins mirent leur honneur à ce que ce duel, où il s’agissait d’une immense fortune et qui regardait deux hommes si distingués par leur courage, n’eût rien de commun avec les disputes ordinaires. Deux gentlemen ne se seraient pas mieux conduits que Max et Philippe. Aussi l’attente des jeunes gens et des bourgeois groupés sur la Place fut-elle trompée. Tous les convives, en vrais militaires, gardèrent le plus profond secret sur l’épisode du dessert.

À dix heures, chacun des deux adversaires apprit que l’arme convenue était le sabre. Le lieu choisi pour le rendez-vous fut le chevet de l’église des Capucins, à huit heures du matin. Goddet, qui faisait partie du banquet en sa qualité d’ancien chirurgien-major, avait été prié d’assister à l’affaire. Quoi qu’il arrivât, les témoins décidèrent que le combat ne durerait pas plus de dix minutes.

À onze heures du soir, à la grande surprise du colonel, monsieur Hochon amena sa femme chez Philippe au moment où il allait se coucher.