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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

tres un autre homme de la Garde ! Ah ! la Garde est embêtée, et à Issoudun, encore ! où elle était honorée !…

— Allons, Potel, ne t’inquiète de rien, répondit Maxence. Quand même tu ne me verrais pas au banquet de l’anniversaire…

— Tu ne serais pas chez Lacroix après-demain ?… s’écria Potel en interrompant son ami. Mais tu veux donc passer pour un lâche, avoir l’air de fuir Bridau ? Non, non. Les Grenadiers à pied de la Garde ne doivent pas reculer devant les Dragons de la Garde. Arrange tes affaires autrement, et sois là !…

— Encore un à mettre à l’ombre, dit Max. Allons, je pense que je puis m’y trouver et faire aussi mes affaires ! Car, se dit-il en lui-même, il ne faut pas que la procuration soit à mon nom. Comme l’a dit le vieux Héron, ça prendrait trop la tournure d’un vol.

Ce lion, empêtré dans les filets ourdis par Philippe Bridau, frémit entre ses dents ; il évita les regards de tous ceux qu’il rencontrait et revint par le boulevard Vilate en se parlant à lui-même : — Avant de me battre, j’aurai les rentes, se disait-il. Si je meurs, au moins cette inscription ne sera pas à ce Philippe, je l’aurai fait mettre au nom de Flore. D’après mes instructions, l’enfant ira droit à Paris, et pourra, si elle le veut, épouser le fils de quelque Maréchal de l’Empire qui sera dégommé. Je ferai donner la procuration au nom de Baruch, qui ne transférera l’inscription que sur mon ordre.

Max, il faut lui rendre cette justice, n’était jamais plus calme en apparence que quand son sang et ses idées bouillonnaient. Aussi jamais ne vit-on à un si haut degré, réunies chez un militaire, les qualités qui font le grand général. S’il n’eût pas été arrêté dans sa carrière par la captivité, certes, l’Empereur aurait eu dans ce garçon un de ces hommes si nécessaires à de vastes entreprises. En entrant dans la salle où pleurait toujours la victime de toutes ces scènes à la fois comiques et tragiques, Max demanda la cause de cette désolation : il fit l’étonné, il ne savait rien, il apprit avec une surprise bien jouée le départ de Flore, il questionna Kouski pour obtenir quelques lumières sur le but de ce voyage inexplicable.

— Madame m’a dit comme ça, fit Kouski, de dire à monsieur qu’elle avait pris dans le secrétaire les vingt mille francs en or qui s’y trouvaient en pensant que monsieur ne lui refuserait pas cette somme pour ses gages, depuis vingt-deux ans.

— Ses gages ?… dit Rouget.

— Oui, reprit Kouski. — « Ah ! je ne reviendrai plus, » qu’elle