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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Je ne sais pas, répondit Kouski, le commandant est sorti sans me rien dire.

Gilet, en très habile politique, avait jugé nécessaire d’aller flâner par la ville. En laissant le vieillard seul à son désespoir, il lui faisait sentir son abandon et le rendait par là docile à ses conseils. Mais pour empêcher que Philippe n’assistât son oncle dans cette crise, Max avait recommandé à Kouski de n’ouvrir la porte à personne. Flore absente, le vieillard était sans frein ni mors, et la situation devenait alors excessivement critique. Pendant sa tournée en ville, Maxence Gilet fut évité par beaucoup de gens qui, la veille, eussent été très empressés à venir lui serrer la main. Une réaction générale se faisait contre lui. Les œuvres des Chevaliers de la Désœuvrance occupaient toutes les langues. L’histoire de l’arrestation de Joseph Bridau, maintenant éclaircie, déshonorait Max dont la vie et les œuvres recevaient en un jour tout leur prix. Gilet rencontra le commandant Potel qui le cherchait et qu’il vit hors de lui.

— Qu’as-tu, Potel ?

— Mon cher, la Garde Impériale est polissonnée dans toute la ville !… Les péquins t’embêtent, et par contre-coup, ça me touche à fond de cœur.

— De quoi se plaignent-ils ? répondit Max.

— De ce que tu leur faisais les nuits.

— Comme si l’on ne pouvait pas s’amuser un petit peu ?…

— Ceci n’est rien, dit Potel

Potel appartenait à ce genre d’officiers qui répondaient à un bourguemestre : — Eh ! on vous la payera, votre ville, si on la brûle ! Aussi s’émouvait-il fort peu des farces de la Désœuvrance.

— Quoi, encore ? dit Gilet.

— La Garde est contre la Garde ! voilà ce qui me crève le cœur. C’est Bridau qui a déchaîné tous ces Bourgeois sur toi. La Garde contre la Garde ?… non, ça n’est pas bien ! Tu ne peux pas reculer, Max, et il faut s’aligner avec Bridau. Tiens, j’avais envie de chercher querelle à cette grande canaille-là, et de le descendre ; car alors les bourgeois n’auraient pas vu la Garde contre la Garde. À la guerre, je ne dis pas : deux braves de la Garde ont une querelle, on se bat, il n’y a pas là de péquins pour se moquer d’eux. Non, ce grand drôle n’a jamais servi dans la Garde. Un homme de la Garde ne doit pas se conduire ainsi, devant des bourgeois, con-