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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Oh ! ne t’en va pas encore, s’écria le vieillard à qui la fausse tendresse de Flore faisait du bien. Dîne avec nous, Philippe ?

— Oui, si vous voulez venir vous promener une heure avec moi.

— Monsieur est bien malingre, dit mademoiselle Brazier. Il n’a pas voulu tout à l’heure sortir en voiture, ajouta-t-elle en se tournant vers le bonhomme qu’elle regarda de cet œil fixe par lequel on dompte les fous.

Philippe prit Flore par le bras, la contraignit à le regarder, et la regarda tout aussi fixement qu’elle venait de regarder sa victime.

— Dites donc, mademoiselle, lui demanda-t-il, est-ce que, par hasard, mon oncle ne serait pas libre de se promener seul avec moi ?

— Mais si, monsieur, répondit Flore qui ne pouvait guère répondre autre chose.

— Hé ! bien, venez, mon oncle ? Allons, mademoiselle, donnez-lui sa canne et son chapeau…

— Mais, habituellement, il ne sort pas sans moi, n’est-ce pas, monsieur ?

— Oui, Philippe, oui, j’ai toujours bien besoin d’elle…

— Il vaudrait mieux aller en voiture, dit Flore.

— Oui, allons en voiture, s’écria le vieillard dans son désir de mettre ses deux tyrans d’accord.

— Mon oncle, vous viendrez à pied et avec moi, ou je ne reviens plus ; car alors la ville d’Issoudun aurait raison : vous seriez sous la domination de mademoiselle Flore Brazier. Que mon oncle vous aime, très bien ! reprit-il en arrêtant sur Flore un regard de plomb. Que vous n’aimiez pas mon oncle, c’est encore dans l’ordre. Mais que vous rendiez le bonhomme malheureux ?… halte là ! Quand on veut une succession, il faut la gagner. Venez-vous, mon oncle ?…

Philippe vit alors une hésitation cruelle se peignant sur la figure de ce pauvre imbécile dont les yeux allaient de Flore à son neveu.

— Ah ! c’est comme cela, reprit le lieutenant-colonel. Eh ! bien adieu, mon oncle. Quant à vous, mademoiselle, je vous baise les mains.

Il se retourna vivement quand il fut à la porte, et surprit encore une fois un geste de menace de Flore à son oncle.

— Mon oncle, dit-il, si vous voulez venir vous promener avec moi, je vous trouverai à votre porte : je vais faire à monsieur Ho-