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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

et en cherchant à deviner ce qui jaillirait de cet antagonisme, la ville les posa donc, par avance, en adversaires. Philippe, qui recherchait avec sollicitude les détails de l’arrestation de son frère, les antécédents de Gilet et ceux de la Rabouilleuse, finit par entrer en relations assez intimes avec Fario, son voisin. Après avoir bien étudié l’Espagnol, Philippe crut pouvoir se fier à un homme de cette trempe. Tous deux ils trouvèrent leur haine si bien à l’unisson, que Fario se mit à la disposition de Philippe en lui racontant tout ce qu’il savait sur les Chevaliers de la Désœuvrance. Philippe, dans le cas où il réussirait à prendre sur son oncle l’empire qu’exerçait Gilet, promit à Fario de l’indemniser de ses pertes, et s’en fit ainsi un séide.

Maxence avait donc en face un ennemi redoutable ; il trouvait, selon le mot du pays, à qui parler. Animée par ses disettes, la ville d’Issoudun pressentait un combat entre ces personnages qui, remarquez-le, se méprisaient mutuellement.

Vers la fin de novembre, un matin, dans la grande allée de Frapesle, vers midi, Philippe, en rencontrant monsieur Hochon, lui dit : — J’ai découvert que vos deux petit-fils Baruch et François sont les amis intimes de Maxence Gilet. Les drôles participent la nuit à toutes les farces qui se font en ville. Aussi Maxence a-t-il su par eux tout ce qui se disait chez vous quand mon frère et ma mère y séjournaient.

— Et comment avez-vous eu la preuve de ces horreurs ?…

— Je les ai entendus causant pendant la nuit au sortir d’un cabaret. Vos deux petits-fils doivent chacun mille écus à Maxence. Le misérable a dit à ces pauvres enfants de tâcher de découvrir quelles sont nos intentions ; en leur rappelant que vous aviez trouvé le moyen de cerner mon oncle par la prêtraille, il leur a dit que vous seul étiez capable de me diriger, car il me prend heureusement pour un sabreur.

— Comment, mes petits-enfants…

— Guettez-les, reprit Philippe, vous les verrez revenant sur la place Saint-Jean, à deux ou trois heures du matin, gris comme des bouchons de vin de Champagne, et en compagnie de Maxence…

— Voilà donc pourquoi mes drôles sont si sobres, dit monsieur Hochon.

— Fario m’a donné des renseignements sur leur existence nocturne, reprit Philippe ; car, sans lui, je ne l’aurais jamais devinée.