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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Oui, reprit monsieur Hochon. Carpentier était en 1810 maréchal-des-logis-chef dans les Dragons ; il en est sorti pour entrer sous-lieutenant dans la Ligne, et il y est devenu capitaine.

— Giroudeau le connaîtra peut-être, se dit Philippe.

— Ce monsieur Carpentier a pris la place dont n’a pas voulu Maxence, à la Mairie, et il est l’ami du commandant Mignonnet.

— Que puis-je faire ici pour gagner ma vie ?…

— On va, je crois, établir une sous-direction pour l’Assurance Mutuelle du Département du Cher, et vous pourriez y trouver une place ; mais ce sera tout au plus cinquante francs par mois…

— Cela me suffira.

Au bout d’une semaine, Philippe eut une redingote, un pantalon et un gilet neufs en bon drap bleu d’Elbeuf, achetés à crédit et payables à tant par mois, ainsi que des bottes, des gants de daim et un chapeau. Il reçut de Paris, par Giroudeau, du linge, ses armes et une lettre pour Carpentier, qui avait servi sous les ordres de l’ancien capitaine des Dragons. Cette lettre valut à Philippe le dévouement de Carpentier, qui présenta Philippe au commandant Mignonnet comme un homme du plus haut mérite et du plus beau caractère. Philippe capta l’admiration de ces deux dignes officiers par quelques confidences sur la conspiration jugée, qui fut, comme on sait, la dernière tentative de l’ancienne armée contre les Bourbons, car le procès des sergents de La Rochelle appartint à un autre ordre d’idées.

À partir de 1822, éclairés par le sort de la conspiration du 19 août 1820, par les affaires Berton et Caron, les militaires se contentèrent d’attendre les événements. Cette dernière conspiration, la cadette de celle du 19 août, fut la même, reprise avec de meilleurs éléments. Comme l’autre, elle resta complètement inconnue au Gouvernement royal. Encore une fois découverts, les conspirateurs eurent l’esprit de réduire leur vaste entreprise aux proportions mesquines d’un complot de caserne. Cette conspiration, à laquelle adhéraient plusieurs régiments de cavalerie, d’infanterie et d’artillerie, avait le nord de la France pour foyer. On devait prendre d’un seul coup les places fortes de la frontière. En cas de succès, les traités de 1815 eussent été brisés par une fédération subite de la Belgique, enlevée à la Sainte-Alliance, grâce à un pacte militaire fait entre soldats. Deux trônes s’abîmaient en un moment dans ce rapide ouragan. Au lieu de ce formidable plan conçu par de fortes têtes, et