Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

et personne, au fait des ruses des coureurs de nuit, ne se leva. Quand les deux chevaliers arrivèrent, Max était évanoui. Il fallut aller éveiller monsieur Goddet le père. Max avait bien reconnu Fario ; mais quand, à cinq heures du matin, il eut bien repris ses sens, qu’il se vit entouré de plusieurs personnes, qu’il sentit que sa blessure n’était pas mortelle, il pensa tout à coup à tirer parti de cet assassinat, et, d’une voix lamentable, il s’écria : — J’ai cru voir les yeux et la figure de ce maudit peintre !…

Là-dessus, Lousteau-Prangin courut chez son père le juge d’instruction. Max fut transporté chez lui par le père Cognet, par le fils Goddet et par deux personnes qu’on fit lever. La Cognette et Goddet père étaient aux côtés de Max couché sur un matelas qui reposait sur deux bâtons. Monsieur Goddet ne voulait rien faire que Max ne fût au lit. Ceux qui portaient le blessé regardèrent naturellement la porte de monsieur Hochon pendant que Kouski se levait, et virent la servante de monsieur Hochon qui balayait. Chez le bonhomme comme dans la plupart des maisons de province, on ouvrait la porte de très bonne heure. Le seul mot prononcé par Max avait éveillé les soupçons, et monsieur Goddet père cria : — Gritte, monsieur Joseph Bridau est-il couché ?

— Ah ! bien, dit-elle, il est sorti dès quatre heures et demie, il s’est promené toute la nuit dans sa chambre, je ne sais pas ce qui le tenait.

Cette naïve réponse excita des murmures d’horreur et des exclamations qui firent venir cette fille, assez curieuse de savoir ce qu’on amenait chez le père Rouget.

— Eh ! bien, il est propre, votre peintre ! lui dit-on.

Et le cortége entra, laissant la servante ébahie : elle avait vu Max étendu sur le matelas, sa chemise ensanglantée, et mourant.

Ce qui tenait Joseph et l’avait agité pendant toute la nuit, les artistes le devinent : il se voyait la fable des bourgeois d’Issoudun, on le prenait pour un tire-laine, pour tout autre chose que ce qu’il voulait être, un loyal garçon, un brave artiste ! Ah ! il aurait donné son tableau pour pouvoir voler comme une hirondelle à Paris, et jeter au nez de Max les tableaux de son oncle. Être le spolié, passer pour le spoliateur ?… quelle dérision ! Aussi dès le matin s’était-il lancé dans l’allée de peupliers qui mène à Tivoli pour donner carrière à son agitation. Pendant que cet innocent jeune homme se promettait, comme consolation, de ne jamais revenir dans ce pays,