Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

alla chercher un bonnet de velours noir pour en couvrir la tête presque chauve du célibataire.

— Aussi bonne que belle, répondit Max, mais elle est vive, comme tous ceux qui ont le cœur sur la main.

Peut-être blâmera-t-on la crudité de cette peinture, et trouvera-t-on les éclats du caractère de la Rabouilleuse empreints de ce vrai que le peintre doit laisser dans l’ombre ? Hé ! bien, cette scène, cent fois recommencée avec d’épouvantables variantes, est, dans sa forme grossière et dans son horrible véracité, le type de celles que jouent toutes les femmes, à quelque bâton de l’échelle sociale qu’elles soient perchées, quand un intérêt quelconque les a diverties de leur ligne d’obéissance et qu’elles ont saisi le pouvoir. Comme chez les grands politiques, à leurs yeux tous les moyens sont légitimés par la fin. Entre Flore Brazier et la duchesse, entre la duchesse et la plus riche bourgeoise, entre la bourgeoise et la femme la plus splendidement entretenue, il n’y a de différences que celles dues à l’éducation qu’elles ont reçue et aux milieux où elles vivent. Les bouderies de la grande dame remplacent les violences de la Rabouilleuse. À tout étage, les amères plaisanteries, des moqueries spirituelles, un froid dédain, des plaintes hypocrites, de fausses querelles obtiennent le même succès que les propos populaciers de cette madame Éverard d’Issoudun.

Max se mit à raconter si drôlement l’histoire de Fario, qu’il fit rire le bonhomme. Védie et Kouski, venus pour entendre ce récit, éclatèrent dans le couloir. Quant à Flore, elle fut prise du fou-rire. Après le déjeuner, pendant que Jean-Jacques lisait les journaux, car on s’était abonné au Constitutionnel et à la Pandore, Max emmena Flore chez lui.

— Es-tu sûre que, depuis qu’il t’a instituée son héritière, il n’a pas fait quelque autre testament ?

— Il n’a pas de quoi écrire, répondit-elle.

— Il a pu en dicter un à quelque notaire, fit Max. S’il ne l’a pas fait, il faut prévoir ce cas-là. Donc, accueillons à merveille les Bridau, mais tachons de réaliser, et promptement, tous les placements hypothécaires. Nos notaires ne demanderont pas mieux que de faire des transports : ils y trouvent à boire et à manger. Les rentes montent tous les jours ; on va conquérir l’Espagne, et délivrer Ferdinand VII de ses Cortès : ainsi, l’année prochaine, les rentes dépasseront peut-être le pair. C’est donc une bonne affaire que de mettre les