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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

francs ; mais je ne garantis pas qu’elle sera, comme celle-ci, faite aux tours.

Cette dernière plaisanterie trouva Fario froid comme s’il s’agissait de conclure un marché.

— Dame ! répliqua-t-il, vous me donneriez de quoi me remplacer ma pauvre charrette, que vous n’auriez jamais mieux employé l’argent du père Rouget.

Max pâlit, il leva son redoutable poing sur Fario ; mais Baruch, qui savait qu’un pareil coup ne frapperait pas seulement sur l’Espagnol, enleva Fario comme une plume et dit tout bas à Max :

— Ne va pas faire des bêtises !

Le commandant, rappelé à l’ordre, se mit à rire et répondit à Fario : — Si je t’ai, par mégarde, fracassé ta charrette, tu essaies de me calomnier, nous sommes quittes.

Pas core ! dit en murmurant Fario. Mais je suis bien aise de savoir ce que valait ma charrette !

— Ah ! Max, tu trouves à qui parler ? dit un témoin de cette scène qui n’appartenait pas à l’Ordre de la Désœuvrance.

— Adieu, monsieur Gilet, je ne vous remercie pas encore de votre coup de main, fit le marchand de grains en enfourchant son cheval et disparaissant au milieu d’un hourra.

— On vous gardera le fer des cercles… lui cria un charron venu pour contempler l’effet de cette chute.

Un des limons s’était planté droit comme un arbre. Max restait pâle et pensif, atteint au cœur par la phrase de l’Espagnol. On parla pendant cinq jours à Issoudun de la charrette à Fario. Elle était destinée à voyager, comme dit le fils Goddet, car elle fit le tour du Berry où l’on se raconta les plaisanteries de Max et de Baruch. Ainsi, ce qui fut le plus sensible à l’Espagnol, il était encore huit jours après l’événement, la fable de trois Départements, et le sujet de toutes les disettes. Max et la Rabouilleuse, à propos des terribles réponses du vindicatif Espagnol, furent aussi le sujet de mille commentaires qu’on se disait à l’oreille dans Issoudun, mais tout haut à Bourges, à Vatan, à Vierzon et à Châteauroux. Maxence Gilet connaissait assez le pays pour deviner combien ces propos devaient être envenimés.

— On ne pourra pas les empêcher de causer, pensait-il. Ah ! j’ai fait là un mauvais coup.