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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Il fut donc pour le commandant Gilet aussi charmant qu’il pouvait l’être. Ainsi que Flore le désirait, l’invitation fut faite devant témoins, afin de ménager l’honneur de Maxence.

La réconciliation se fit entre Flore et son maître ; mais depuis cette journée Jean-Jacques aperçut des nuances qui prouvaient un changement complet dans l’affection de la Rabouilleuse. Flore Brazier se plaignit pendant une quinzaine de jours, chez les fournisseurs, au marché, près des commères avec lesquelles elle bavardait, de la tyrannie de monsieur Rouget, qui s’avisait de prendre son soi-disant frère naturel chez lui. Mais personne ne fut la dupe de cette comédie, et Flore fut regardée comme une créature excessivement fine et retorse.

Le père Rouget se trouva très-heureux de l’impatronisation de Max au logis, car il eut une personne qui fut aux petits soins pour lui, mais sans servilité cependant. Gilet causait, politiquait et se promenait quelquefois avec le père Rouget. Dès que l’officier fut installé, Flore ne voulut plus être cuisinière. La cuisine, dit-elle. lui gâtait les mains. Sur le désir du Grand-Maître de l’Ordre, la Cognette indiqua l’une de ses parentes, une vieille fille dont le maître, un curé, venait de mourir sans lui rien laisser, une excellente cuisinière, qui serait dévouée à la vie à la mort à Flore et à Max. D’ailleurs, la Cognette promit à sa parente, au nom de ces deux puissances, une rente de trois cents livres après dix ans de bons, loyaux, discrets et probes services. Âgée de soixante ans, la Védie était remarquable par une figure ravagée par la petite vérole et d’une laideur convenable. Après l’entrée en fonctions de la Védie, la Rabouilleuse devint madame Brazier. Elle porta des corsets, elle eut des robes en soie, en belles étoffes de laine et de coton suivant les saisons ! Elle eut des collerettes, des fichus fort chers, des bonnets brodés, des gorgerettes de dentelles, se chaussa de brodequins et se maintint dans une élégance et une richesse de mise qui la rajeunit. Elle fut comme un diamant brut, taillé, moulé par le bijoutier pour valoir tout son prix. Elle voulait faire honneur à Max. À la fin de la première année, en 1817, elle fit venir de Bourges un cheval, dit anglais, pour le pauvre commandant, ennuyé de se promener à pied. Max avait racolé, dans les environs, un ancien lancier de la Garde Impériale, un Polonais, nommé Kouski, tombé dans la misère, qui ne demanda pas mieux que d’entrer chez monsieur Rouget en qualité de domestique du commandant.