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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

pas du pied… Max avalerait trois voleurs, le temps de le dire… eh ! bien, je dormirais plus tranquille. On vous dira peut-être des bêtises… que je l’aime par ci, que je l’adore par là !… Savez-vous ce que vous direz ?… eh ! bien, vous répondrez que vous le savez, mais que votre père vous avait recommandé son pauvre Max à son lit de mort. Tout le monde se taira, car les pavés d’Issoudun vous diront qu’il lui payait sa pension au collège, na ! Voilà neuf ans que je mange votre pain…

— Flore, Flore…

— Il y en a eu par la ville plus d’un qui m’a fait la cour, da ! On m’offrait des chaînes d’or par ci, des montres par là… Ma petite Flore, si tu veux quitter cet imbécile de père Rouget, car voilà ce qu’on me disait de vous. Moi, le quitter ? ah ! bien, plus souvent, un innocent comme ça ! que qui deviendrait, ai-je toujours répondu. Non, non, où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute….

— Oui, Flore, je n’ai que toi au monde, et je suis trop heureux… Si ça te fait plaisir, mon enfant, eh ! bien, nous aurons ici Maxence Gilet, il mangera avec nous…

— Parbleu ! je l’espère bien…

— Là, là, ne te fâche pas…

— Quand il y a pour un, il y a bien pour deux, répondit-elle en riant. Mais si vous êtes gentil, savez-vous ce que vous ferez, mon bichon ?… Vous irez vous promener aux environs de la Mairie, à quatre heures, et vous vous arrangerez pour rencontrer monsieur le commandant Gilet, que vous inviterez à dîner. S’il fait des façons, vous lui direz que ça me fera plaisir, il est trop galant pour refuser. Pour lors, entre la poire et le fromage, s’il vous parle de ses malheurs, des pontons, que vous aurez bien l’esprit de le mettre là-dessus, vous lui offrirez de demeurer ici. S’il trouve quelque chose à redire, soyez tranquille, je saurai bien le déterminer….

En se promenant avec lenteur sur le boulevard Baron, le célibataire réfléchit, autant qu’il le pouvait, à cet événement. S’il se séparait de Flore… (à cette idée, il n’y voyait plus clair) quelle autre femme retrouverait-il ?… Se marier ?… À son âge, il serait épousé pour sa fortune, et encore plus cruellement exploité par sa femme légitime que par Flore. D’ailleurs, la pensée d’être privé de cette tendresse, fût-elle illusoire, lui causait une horrible angoisse.