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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Pardè !

— Là, vrai ?…

— Quand je vous le dis…

— Voyons ? Êtes-vous la même que quand vous étiez là, pieds nus, amenée par votre oncle ?

— Belle question ! ma foi, répondit Flore en rougissant.

L’héritier atterré baissa la tête et ne la releva plus. Flore, stupéfaite de voir une réponse si flatteuse pour un homme accueillie par une semblable consternation, se retira.

Trois jours après, au même moment, car l’un et l’autre ils semblaient se désigner le dessert comme leur champ de bataille, Flore dit la première à son maître : — Est-ce que vous avez quelque chose contre moi ?…

— Non, mademoiselle, répondit-il, non… (une pause). Au contraire.

— Vous avez paru contrarié hier de savoir que j’étais une honnête fille…

— Non ; je voulais seulement savoir… (autre pause) Mais vous ne me le diriez pas…

— Ma foi, reprit-elle, je vous dirai toute la vérité…

— Toute la vérité sur… mon père… demanda-t-il d’une voix étranglée.

— Votre père, dit-elle en plongeant son regard dans les yeux de son maître, était un brave homme… il aimait à rire… Quoi !… un brin… Mais, pauvre cher homme !… c’était pas la bonne volonté qui lui manquait… Enfin, rapport à je ne sais quoi contre vous, il avait des intentions… Oh ! de tristes intentions. Souvent il me faisait rire, quoi !… Voilà… Après ?…

— Eh ! bien, Flore, dit l’héritier en prenant la main de la Rabouilleuse, puisque mon père ne vous était de rien.

— Et, de quoi voulez-vous qu’il me fût ?… s’écria-t-elle en fille offensée d’une supposition injurieuse.

— Eh ! bien, écoutez donc ?

— Il était mon bienfaiteur, voilà tout. Ah ! il aurait bien voulu que je fusse sa femme… mais…

— Mais, dit Rouget en reprenant la main que Flore lui avait retirée, puisqu’il ne vous a rien été, vous pourriez rester ici avec moi ?…

— Si vous voulez, répondit-elle en baissant les yeux.