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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

homme de moyenne taille, d’attitude pleine de honte et de mauvaise grâce, à figure commune, que deux gros yeux d’un vert pâle et saillants eussent rendue assez laide si déjà les traits écrasés et un teint blafard ne la vieillissaient avant le temps. La compagnie d’une femme annulait, en effet, ce pauvre garçon qui se sentait poussé par la passion aussi violemment qu’il était retenu par le peu d’idées dû à son éducation. Immobile entre deux forces égales, il ne savait alors que dire, et tremblait d’être interrogé, tant il avait peur d’être obligé de répondre ! Le désir, qui délie si promptement la langue, lui glaçait la sienne. Jean-Jacques resta donc solitaire, et rechercha la solitude en ne s’y trouvant pas gêné. Le docteur aperçut, trop tard pour y remédier, les ravages produits par ce tempérament et par ce caractère. Il aurait bien voulu marier son fils ; mais, comme il s’agissait de le livrer à une domination qui deviendrait absolue, il dut hésiter. N’était-ce pas abandonner le maniement de sa fortune à une étrangère, à une fille inconnue ? Or, il savait combien il est difficile d’avoir des prévisions exactes sur le moral de la Femme, en étudiant la Jeune Fille. Aussi, tout en cherchant une personne dont l’éducation ou les sentiments lui offrissent des garanties, essaya-t-il de jeter son fils dans la voie de l’avarice. À défaut d’intelligence, il espérait ainsi donner à ce niais une sorte d’instinct. Il l’habitua d’abord à une vie mécanique, et lui légua des idées arrêtées pour le placement de ses revenus ; puis il lui évita les principales difficultés de l’administration d’une fortune territoriale, en lui laissant des terres en bon état et louées par de longs baux. Le fait qui devait dominer la vie de ce pauvre être échappa cependant à la perspicacité de ce vieillard si fin. La timidité ressemble à la dissimulation, elle en a toute la profondeur. Jean-Jacques aima passionnément la Rabouilleuse. Rien de plus naturel d’ailleurs. Flore fut la seule femme qui restât près de ce garçon, la seule qu’il pût voir à son aise, en la contemplant en secret, en l’étudiant à toute heure ; Flore illumina pour lui la maison paternelle, elle lui donna sans le savoir les seuls plaisirs qui lui dorèrent sa jeunesse. Loin d’être jaloux de son père, il fut enchanté de l’éducation qu’il donnait à Flore : ne lui fallait-il pas une femme facile, et avec laquelle il n’y eût pas de cour à faire ? La passion qui, remarquez-le, porte son esprit avec elle, peut donner aux niais, aux sots, aux imbéciles une sorte d’intelligence, surtout pendant la jeunesse. Chez l’homme le plus brute, il se rencontre tou-