Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

fin ; or, en le trouvant drapé sur son lit de mort dans le manteau de la philosophie encyclopédiste, son notaire le pressa de faire quelque chose en faveur de cette jeune fille, alors âgée de dix-sept ans.

— Eh ! bien, émancipons-la, dit-il.

Ce mot peint ce vieillard qui ne manquait jamais de tirer ses sarcasmes de la profession même de celui à qui il répondait. En couvrant d’esprit ses mauvaises actions, il se les faisait pardonner dans un pays où l’esprit a toujours raison, surtout quand il s’appuie sur l’intérêt personnel bien entendu. Le notaire vit dans ce mot le cri de la haine concentrée d’un homme chez qui la nature avait trompé les calculs de la débauche, une vengeance contre l’innocent objet d’un impuissant amour. Cette opinion fut en quelque sorte confirmée par l’entêtement du docteur, qui ne laissa rien à la Rabouilleuse, et qui dit avec un sourire amer : — elle est bien assez riche de sa beauté ! quand le notaire insista de nouveau sur ce sujet.

Jean-Jacques Rouget ne pleura point son père que Flore pleurait. Le vieux médecin avait rendu son fils très malheureux, surtout depuis sa majorité, et Jean-Jacques fut majeur en 1791 ; tandis qu’il avait donné à la petite paysanne le bonheur matériel qui, pour les gens de la campagne, est l’idéal du bonheur. Quand, après l’enterrement du défunt, Fanchette dit à Flore : — Eh ! bien, qu’allez-vous devenir maintenant que monsieur n’est plus ? Jean-Jacques eut des rayons dans les yeux, et pour la première fois sa figure immobile s’anima, parut s’éclairer aux rayons d’une pensée, et peignit un sentiment.

— Laissez-nous, dit-il à Fanchette qui desservait alors la table.

À dix-sept ans, Flore conservait encore cette finesse de taille et de traits, cette distinction de beauté qui séduisit le docteur et que les femmes du monde savent conserver, mais qui se fanent chez les paysannes aussi rapidement que la fleur des champs. Cependant, cette tendance à l’embonpoint qui gagne toutes les belles campagnardes quand elles ne mènent pas aux champs et au soleil leur vie de travail et de privations, se faisait déjà remarquer en elle. Son corsage était développé. Ses épaules grasses et blanches dessinaient des plans riches et harmonieusement rattachés à son cou qui se plissait déjà. Mais le contour de sa figure restait pur, et le menton était encore fin.

— Flore, dit Jean-Jacques d’une voix émue, vous êtes bien habituée à cette maison ?…