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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

de lui apprendre à lire, à écrire et à compter. Mais la vie presque animale des paysans avait mis en Flore de telles répugnances pour le vase amer de la science que le docteur en resta là de cette éducation. Ses desseins à l’égard de cette enfant, qu’il décrassait, instruisait et formait avec des soins d’autant plus touchants qu’on le croyait incapable de tendresse, furent diversement interprétés par la caqueteuse bourgeoisie de la ville, dont les disettes accréditaient, comme à propos de la naissance de Max et d’Agathe, de fatales erreurs. Il n’est pas facile au public des petites villes de démêler la vérité dans les mille conjectures, au milieu des commentaires contradictoires, et à travers toutes les suppositions auxquelles un fait y donne lieu. La Province, comme autrefois les politiques de la petite Provence aux Tuileries, veut tout expliquer, et finit par tout savoir. Mais chacun tient à la face qu’il affectionne dans l’événement ; il y voit le vrai, le démontre et tient sa version pour la seule bonne. La vérité, malgré la vie à jour et l’espionnage des petites villes, est donc souvent obscurcie, et veut, pour être reconnue, ou le temps après lequel la vérité devient indifférente, ou l’impartialité que l’historien et l’homme supérieur prennent en se plaçant à un point de vue élevé.

— Que voulez-vous que ce vieux singe fasse à son âge d’une petite fille de quinze ans ? disait-on deux ans après l’arrivée de la Rabouilleuse.

— Vous avez raison, répondait-on, il y a long-temps qu’ils sont passés, ses jours de fête

— Mon cher, le docteur est révolté de la stupidité de son fils, et il persiste dans sa haine contre sa fille Agathe ; dans cet embarras, peut-être n’a-t-il vécu si sagement depuis deux ans que pour épouser cette petite, s’il peut avoir d’elle un beau garçon agile et découplé, bien vivant comme Max, faisait observer une tête forte.

— Laissez-nous donc tranquilles, est-ce qu’après avoir mené la vie que Lousteau et Rouget ont faite de 1770 à 1787, on peut avoir des enfants à soixante-douze ans ? Tenez, ce vieux scélérat a lu l’ancien Testament, ne fût-ce que comme médecin, et il y a vu comment le roi David réchauffait sa vieillesse… Voilà tout, bourgeois !

— On dit que Brazier, quand il est gris, se vante, à Vatan, de l’avoir volé ! s’écriait un de ces gens qui croient plus particulièrement au mal.