Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

nue, portait une méchante jupe courte trouée et déchiquetée, en mauvaise étoffe de laine alternativement rayée de bistre et de blanc. Une feuille de gros papier attachée par un brin d’osier lui servait de coiffure. Dessous ce papier plein de bâtons et d’O, qui justifiait bien son nom de papier-écolier, était tordue et rattachée, par un peigne à peigner la queue des chevaux, la plus belle chevelure blonde qu’ait pu souhaiter une fille d’Ève. Sa jolie poitrine hâlée, son cou à peine couvert par un fichu en loques, qui jadis fut un madras, montrait des places blanches au-dessous du hâle. La jupe, passée entre les jambes, relevée à mi-corps et attachée par une grosse épingle, faisait assez l’effet d’un caleçon de nageur. Les pieds, les jambes, que l’eau claire permettait d’apercevoir, se recommandaient par une délicatesse digne de la statuaire au Moyen-Age. Ce charmant corps exposé au soleil avait un ton rougeâtre qui ne manquait pas de grâce. Le col et la poitrine méritaient d’être enveloppés de cachemire et de soie. Enfin, cette nymphe avait des yeux bleus garnis de cils dont le regard eût fait tomber à genoux un peintre et un poète. Le médecin, assez anatomiste pour reconnaître une taille délicieuse, comprit tout ce que les Arts perdraient si ce charmant modèle se détruisait au travail des champs.

— D’où es-tu, ma petite ? Je ne t’ai jamais vue, dit le vieux médecin alors âgé de soixante-dix ans.

Cette scène se passait au mois de septembre de l’année 1799.

— Je suis de Vatan, répondit la fille.

En entendant la voix d’un bourgeois, un homme de mauvaise mine, placé à deux cents pas de là, dans le cours supérieur du ruisseau, leva la tête.

— Eh ! bien, qu’as-tu donc, Flore ? cria-t-il, tu causes au lieu de rabouiller, la marchandise s’en ira !

— Et que viens-tu faire de Vatan, ici ? demanda le médecin sans s’inquiéter de l’apostrophe.

— Je rabouille pour mon oncle Brazier que voilà.

Rabouiller est un mot berrichon qui peint admirablement ce qu’il veut exprimer : l’action de troubler l’eau d’un ruisseau en la faisant bouillonner à l’aide d’une grosse branche d’arbre dont les rameaux sont disposés en forme de raquette. Les écrevisses effrayées par cette opération, dont le sens leur échappe, remontent précipitamment le cours d’eau, et dans leur trouble se jettent au milieu des engins que le pêcheur a placés à une distance convenable. Flore Brazier