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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

est traversé par une rue, nommée depuis plus de deux mille ans, la rue de Rome. Le faubourg lui-même s’appelle faubourg de Rome. Les habitants de ce faubourg, dont la race, le sang, la physionomie ont d’ailleurs un cachet particulier, se disent descendants des Romains. Ils sont presque tous vignerons et d’une remarquable roideur de mœurs, due sans doute à leur origine, et peut-être à leur victoire sur les Cottereaux et les Routiers, qu’ils ont exterminés au douzième siècle dans la plaine de Charost. Après l’insurrection de 1830, la France fut trop agitée pour avoir donné son attention à l’émeute des vignerons d’Issoudun, qui fut terrible, dont les détails n’ont pas été d’ailleurs publiés, et pour cause. D’abord, les bourgeois d’Issoudun ne permirent point aux troupes d’entrer en ville. Ils voulurent répondre eux-mêmes de leur cité, selon les us et coutumes de la bourgeoisie au Moyen-Age. L’autorité fut obligée de céder à des gens appuyés par six ou sept mille vignerons qui avaient brûlé toutes les archives et les bureaux des Contributions Indirectes, et qui traînaient de rue en rue un employé de l’Octroi, disant à chaque réverbère : — C’est là que faut le pendre ! Le pauvre homme fut arraché à ces furieux par la Garde nationale, qui lui sauva la vie en le conduisant en prison sous prétexte de lui faire son procès. Le général n’entra qu’en vertu d’une capitulation faite avec les vignerons, et il y eut du courage à pénétrer leurs masses ; car, au moment où il parut à l’Hôtel-de-Ville, un homme du faubourg de Rome lui passa son volant au cou (le volant est cette grosse serpe attachée à une perche qui sert à tailler les arbres), et lui cria : — Pu d’coumis ou y a rin de fait ! Ce vigneron aurait abattu la tête à celui que seize ans de guerre avaient respecté, sans la rapide intervention d’un des chefs de la révolte à qui l’on promit de demander aux Chambres la suppression des rats de cave !

Au quatorzième siècle Issoudun avait encore seize à dix-sept mille habitants, reste d’une population double au temps de Rigord. Charles VII y possédait un hôtel qui subsiste, et connu jusqu’au dix-huitième siècle sous le nom de Maison du Roy. Cette ville, alors le centre du commerce des laines, en approvisionnait une partie de l’Europe et fabriquait sur une grande échelle des draps, des chapeaux, et d’excellents gants de chevreautin. Sous Louis XIV, Issoudun, à qui l’on dut Baron et Bourdaloue, était toujours citée comme une ville d’élégance, de beau langage et de bonne société. Dans son histoire de Sancerre, le curé Poupart pré-