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mais à vous deux ! Philippe, dit-elle à sa nièce, est un monstre ; il ne vous aime point malgré tout ce que vous faites pour lui. Si vous ne prenez pas de précautions contre lui, le misérable vous mettra sur la paille. Promettez-moi de vendre vos rentes, d’en réaliser le capital et de le placer en viager. Joseph a un bon état qui le fera vivre. En prenant ce parti, ma petite, vous ne serez jamais à la charge de Joseph. Monsieur Desroches veut établir son fils. Le petit Desroches (il avait alors vingt-six ans) a trouvé une Étude, il vous prendra vos douze mille francs à rente viagère.

Joseph saisit le bougeoir de sa mère et monta précipitamment à son atelier, il en revint avec trois cents francs : — Tenez, maman Descoings, dit-il en lui offrant son pécule, nous n’avons pas à rechercher ce que vous faites de votre argent, nous vous devons celui qui vous manque, et le voici presque en entier !

— Prendre ton pauvre petit magot, le fruit de tes privations qui me font tant souffrir ! Es-tu fou, Joseph ? s’écria la vieille actionnaire de la loterie royale de France visiblement partagée entre sa foi brutale en son terne et cette action qui lui semblait un sacrilége.

— Oh ! faites-en ce que vous voudrez, dit Agathe que le mouvement de son vrai fils émut aux larmes.

La Descoings prit Joseph par la tête et le baisa sur le front : — Mon enfant, ne me tente pas. Tiens, je perdrais encore. C’est des bêtises, la loterie !

Jamais rien de si héroïque n’a été dit dans les drames inconnus de la vie privée. Et, en effet, n’est-ce pas l’affection triomphant d’un vice invétéré ? En ce moment, les cloches de la messe de minuit sonnèrent.

— Et puis il n’est plus temps, reprit la Descoings.

— Oh ! dit Joseph, voilà vos calculs de cabale.

Le généreux artiste sauta sur les numéros, s’élança dans l’escalier et courut faire la mise. Quand Joseph ne fut plus là, Agathe et la Descoings fondirent en larmes.

— Il y va, le cher amour, s’écriait la joueuse. Mais ce sera tout pour lui, car c’est son argent !

Malheureusement Joseph ignorait entièrement la situation des bureaux de loterie que, dans ce temps, les habitués connaissaient dans Paris comme aujourd’hui les fumeurs connaissent les débits de tabac. Le peintre alla comme un fou regardant les lanternes.