Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ner autour des petits faits de la vie et en pénétrer le sens caché. Joseph avait acheté un de ces bahuts magnifiques, alors ignorés de la mode, pour en décorer un coin de son atelier où se portait la lumière qui papillotait dans les bas-reliefs, en donnant tout son lustre à ce chef-d’œuvre des artisans du seizième siècle. Il y reconnut l’existence d’une cachette, et y accumulait un pécule de prévoyance. Avec la confiance naturelle aux vrais artistes, il mettait habituellement l’argent qu’il s’accordait pour sa dépense du mois dans une tête de mort placée sur une des cases du bahut. Depuis le retour de son frère au logis, il trouvait un désaccord constant entre le chiffre de ses dépenses et celui de cette somme. Les cent francs du mois disparaissaient avec une incroyable vitesse. En ne trouvant rien, après n’avoir dépensé que quarante à cinquante francs, il se dit une première fois : Il paraît que mon argent a pris la poste ! Une seconde fois, il fit attention a ses dépenses ; mais il eut beau compter, comme Robert-Macaire, seize et cinq font vingt-trois, il ne s’y retrouva point. En s’apercevant, pour la troisième fois, d’une plus forte erreur, il communiqua ce sujet de peine à la vieille Descoings, par laquelle il se sentait aimé de cet amour maternel, tendre, confiant, crédule, enthousiaste qui manquait à sa mère, quelque bonne qu’elle fût, et tout aussi nécessaire aux commencements de l’artiste que les soins de la poule à ses petits jusqu’à ce qu’ils aient des plumes. À elle seule, il pouvait confier ces horribles soupçons. Il était sûr de ses amis comme de lui-même, la Descoings ne lui prenait certes rien pour mettre à la loterie ; et, à cette idée qu’il exprima, la pauvre femme se tordit les mains ; Philippe seul pouvait donc commettre ce petit vol domestique.

— Pourquoi ne me demande-t-il pas ce dont il a besoin ? s’écria Joseph en prenant de la couleur sur sa palette et brouillant tous les tons sans s’en apercevoir. Lui refuserais-je de l’argent ?

— Mais c’est dépouiller un enfant, s’écria la Descoings dont ce visage exprima la plus profonde horreur.

— Non, reprit Joseph, il le peut, il est mon frère, ma bourse est la sienne ; mais il devrait m’avertir.

— Mets ce matin une somme fixe en monnaie et n’y touche pas, lui dit la Descoings, je saurai qui vient à ton atelier ; et, s’il n’y a que lui qui y soit entré, tu auras une certitude.

Le lendemain même, Joseph eut ainsi la preuve des emprunts