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diquant du bout de sa brosse une esquisse dont les couleurs étaient encore humides.

— Et que mets-tu dans ton sac par année, maintenant ?

— Malheureusement je ne suis encore connu que des peintres. Je suis appuyé par Schinner qui doit me procurer des travaux au château de Presles où j’irai vers octobre faire des arabesques, des encadrements, des ornements très-bien payés par le comte de Sérizy. Avec ces brocantes-là, avec les commandes des marchands, je pourrai désormais faire dix-huit cents à deux mille francs, tous frais payés. Bah ! à l’Exposition prochaine, je présenterai ce tableau-là ; s’il est goûté, mon affaire sera faite : mes amis en sont contents.

— Je ne m’y connais pas, dit Philippe d’une voix douce qui força Joseph à le regarder.

— Qu’as-tu ? demanda l’artiste en trouvant son frère pâli.

— Je voudrais savoir en combien de temps tu ferais mon portrait.

— Mais en travaillant toujours, si le temps est clair, en trois ou quatre jours j’aurai fini.

— C’est trop de temps, je n’ai que la journée à te donner. Ma pauvre mère m’aime tant que je voulais lui laisser ma ressemblance. N’en parlons plus.

— Eh ! bien, est-ce que tu t’en vas encore ?

— Je m’en vais pour ne plus revenir, dit Philippe d’un air faussement gai.

— Ah çà ! Philippe, mon ami, qu’as-tu ? Si c’est quelque chose de grave, je suis un homme, je ne suis pas un niais ; je m’apprête à de rudes combats ; et, s’il faut de la discrétion, j’en aurai.

— Est-ce sûr ?

— Sur mon honneur.

— Tu ne diras rien à qui que ce soit au monde ?

— À personne.

— Eh ! bien, je vais me brûler la cervelle.

— Toi ! tu vas donc te battre ?

— Je vais me tuer.

— Et pourquoi ?

— J’ai pris onze mille francs dans ma caisse, et je dois rendre mes comptes demain, mon cautionnement sera diminué de moitié ; notre pauvre mère sera réduite à six cents francs de rente. Ça ! ce n’est rien, je pourrais lui rendre plus tard une fortune ; mais je suis déshonoré ! Je ne veux pas vivre dans le déshonneur.