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Dans ce mois fatal, Mariette partit pour Londres y exploiter les lords pendant le temps qu’on bâtissait la salle provisoire de l’Opéra, dans l’hôtel Choiseul, rue Lepelletier. Le malheureux Philippe en était arrivé, comme cela se pratique, à aimer Mariette malgré ses patentes infidélités ; mais elle n’avait jamais vu dans ce garçon qu’un militaire brutal et sans esprit, un premier échelon sur lequel elle ne voulait pas long-temps rester. Aussi, prévoyant le moment où Philippe n’aurait plus d’argent, la danseuse avait-elle su conquérir des appuis dans le journalisme qui la dispensaient de conserver Philippe ; néanmoins, elle eut la reconnaissance particulière à ces sortes de femmes pour celui qui, le premier, leur a pour ainsi dire aplani les difficultés de l’horrible carrière du théâtre.

Forcé de laisser aller sa terrible maîtresse à Londres sans l’y suivre, Philippe reprit ses quartiers d’hiver, pour employer ses expressions, et revint rue Mazarine dans sa mansarde ; il y fit de sombres réflexions en se couchant et se levant. Il sentit en lui-même l’impossibilité de vivre autrement qu’il n’avait vécu depuis un an. Le luxe qui régnait chez Mariette, les dîners et les soupers, la soirée dans les coulisses, l’entrain des gens d’esprit et des journalistes, l’espèce de bruit qui se faisait autour de lui, toutes les caresses qui en résultaient pour les sens et pour la vanité ; cette vie, qui ne se trouve d’ailleurs qu’à Paris, et qui offre chaque jour quelque chose de neuf, était devenue plus qu’une habitude pour Philippe ; elle constituait une nécessité comme son tabac et ses petits verres. Aussi reconnut-il qu’il ne pouvait pas vivre sans ces continuelles jouissances. L’idée du suicide lui passa par la tête, non pas à cause du déficit qu’on allait reconnaître dans sa caisse, mais à cause de l’impossibilité de vivre avec Mariette et dans l’atmosphère de plaisirs où il se chafriolait depuis un an. Plein de ces sombres idées, il vint pour la première fois dans l’atelier de son frère qu’il trouva travaillant, en blouse bleue, à copier un tableau pour un marchand.

— Voici donc comment se font les tableaux ? dit Philippe pour entrer en matière.

— Non, répondit Joseph, mais voilà comment ils se copient.

— Combien te paye-t-on cela ?

— Hé ! jamais assez, deux cent cinquante francs ; mais j’étudie la manière des maîtres, j’y gagne de l’instruction, je surprends les secrets du métier. Voilà l’un de mes tableaux, lui dit-il en lui in-