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ves, aimait Mariette, la célèbre danseuse de la Porte-Saint-Martin. Cette vieille nouvelle fut comme un coup de foudre pour les deux veuves ; d’abord les sentiments religieux d’Agathe lui faisaient regarder les femmes de théâtre comme des tisons d’enfer ; puis il leur semblait à toutes deux que ces femmes vivaient d’or, buvaient des perles, et ruinaient les plus grandes fortunes.

— Eh ! bien, dit Joseph à sa mère, croyez-vous que mon frère soit assez imbécile pour donner de l’argent à sa Mariette ? Ces femmes-là ne ruinent que les riches.

— On parle déjà d’engager Mariette à l’Opéra, dit Bixiou. Mais n’ayez pas peur, madame Bridau, le corps diplomatique se montre à la Porte-Saint-Martin, cette belle fille ne sera pas longtemps avec votre fils. On parle d’un ambassadeur amoureux-fou de Mariette. Autre nouvelle ! Le père Claparon est mort, on l’enterre demain, et son fils, devenu banquier, qui roule sur l’or et sur l’argent, a commandé un convoi de dernière classe. Ce garçon manque d’éducation. Ça ne se passe pas ainsi en Chine !

Philippe proposa, dans une pensée cupide, à la danseuse de l’épouser ; mais, à la veille d’entrer à l’Opéra, mademoiselle Godeschal le refusa, soit qu’elle eût deviné les intentions du colonel, soit qu’elle eût compris combien son indépendance était nécessaire à sa fortune. Pendant le reste de cette année, Philippe vint tout au plus voir sa mère deux fois par mois. Où était-il ? À sa caisse, au théâtre ou chez Mariette. Aucune lumière sur sa conduite ne transpira dans le ménage de la rue Mazarine. Giroudeau, Finot, Bixiou, Vernou, Lousteau lui voyaient mener une vie de plaisirs. Philippe était de toutes les parties de Tullia, l’un des premiers sujets de l’Opéra, de Florentine qui remplaça Mariette à la Porte-Saint-Martin, de Florine et de Matifat, de Coralie et de Camusot. À partir de quatre heures, moment où il quittait sa caisse, il s’amusait jusqu’à minuit ; car il y avait toujours une partie de liée la veille, un bon dîner donné par quelqu’un, une soirée de jeu, un souper. Philippe vécut alors comme dans son élément. Ce carnaval, qui dura dix-huit mois, n’alla pas sans soucis. La belle Mariette, lors de son début à l’Opéra, en janvier 1821, soumit à sa loi l’un des ducs les plus brillants de la cour de Louis XVIII. Philippe essaya de lutter contre le duc ; mais, malgré quelque bonheur au jeu, au renouvellement du mois d’avril il fut obligé, par sa passion, de puiser dans la caisse du journal. Au mois de mai, il devait onze mille francs.