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vengeance pour s’embusquer dans Paris, comme un tigre qui veut sauter sur sa proie, et pour jouir alors de tous les accidents de Paris et d’un quartier, en leur prêtant un intérêt de plus que celui dont ils abondent déjà. Alors, ne faut-il pas avoir une âme multiple ? n’est-ce pas vivre de mille passions, de mille sentiments ensemble ?

Auguste de Maulincour se jeta dans cette ardente existence avec amour, parce qu’il en ressentit tous les malheurs et tous les plaisirs. Il allait déguisé, dans Paris, veillait à tous les coins de la rue Pagevin ou de la rue des Vieux-Augustins. Il courait comme un chasseur de la rue de Ménars à la rue Soly, de la rue Soly à la rue de Ménars, sans connaître ni la vengeance, ni le prix dont seraient ou punis ou récompensés tant de soins, de démarches et de ruses ! Et, cependant, il n’en était pas encore arrivé à cette impatience qui tord les entrailles et fait suer ; il flânait avec espoir, en pensant que madame Jules ne se hasarderait pas pendant les premiers jours à retourner là où elle avait été surprise. Aussi avait-il consacré ces premiers jours à s’initier à tous les secrets de la rue. Novice en ce métier, il n’osait questionner ni le portier, ni le cordonnier de la maison dans laquelle venait madame Jules ; mais il espérait pouvoir se créer un observatoire dans la maison située en face de l’appartement mystérieux. Il étudiait le terrain, il voulait concilier la prudence et l’impatience, son amour et le secret.

Dans les premiers jours du mois de mars, au milieu des plans qu’il méditait pour frapper un grand coup, et en quittant son échiquier après une de ces factions assidues qui ne lui avaient encore rien appris, il s’en retournait vers quatre heures à son hôtel où l’appelait une affaire relative à son service, lorsqu’il fut pris, rue Coquillière, par une de ces belles pluies qui grossissent tout à coup les ruisseaux, et dont chaque goutte fait cloche en tombant sur les flaques d’eau de la voie publique. Un fantassin de Paris est alors obligé de s’arrêter tout court, de se réfugier dans une boutique ou dans un café, s’il est assez riche pour y payer son hospitalité forcée ; ou, selon l’urgence, sous une porte cochère, asile des gens pauvres ou mal mis. Comment aucun de nos peintres n’a-t-il pas encore essayé de reproduire la physionomie d’un essaim de Parisiens groupés, par un temps d’orage, sous le porche humide d’une maison ? Où rencontrer un plus riche tableau ? N’y a-t-il pas d’abord de piéton rêveur ou philosophe qui observe avec plaisir, soit les