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un tyran qui vous abrutit sous les flagellations de son despotisme. Ses yeux avaient l’éclat froid de ceux d’un tigre en cage qui sait son impuissance et se trouve obligé de dévorer ses envies de destruction.

— Quelle est cette femme ? dit Henri à Paquita.

Mais Paquita ne répondit pas. Elle fit signe qu’elle n’entendait pas le français, et demanda à Henri s’il parlait anglais. De Marsay répéta sa question en anglais.

— C’est la seule femme à laquelle je puisse me fier, quoiqu’elle m’ait déjà vendue, dit Paquita tranquillement. Mon cher Adolphe, c’est ma mère, une esclave achetée en Géorgie pour sa rare beauté, mais dont il reste peu de chose aujourd’hui. Elle ne parle que sa langue maternelle.

L’attitude de cette femme et son envie de deviner, par les mouvements de sa fille et d’Henri, ce qui se passait entre eux furent expliquées soudain au jeune homme, que cette explication mit à l’aise.

— Paquita, lui dit-il, nous ne serons donc pas libres ?

— Jamais ! dit-elle d’un air triste. Nous avons même peu de jours à nous.

Elle baissa les yeux, regarda sa main, et compta de sa main droite sur les doigts de sa main gauche, en montrant ainsi les plus belles mains qu’Henri eût jamais vues.

— Un, deux, trois…

Elle compta jusqu’à douze.

— Oui, dit elle, nous avons douze jours.

— Et après ?

— Après, dit-elle en restant absorbée comme une femme faible devant la hache du bourreau et tuée d’avance par une crainte qui la dépouillait de cette magnifique énergie que la nature semblait ne lui avoir départie que pour agrandir les voluptés et pour convertir en poèmes sans fin les plaisirs les plus grossiers. — Après, répétait elle. Ses yeux devinrent fixes ; elle parut contempler un objet éloigné, menaçant. — Je ne sais pas, dit elle.

— Cette fille est folle, se dit Henri, qui tomba lui-même en des réflexions étranges.

Paquita lui parut occupée de quelque chose qui n’était pas lui, comme une femme également contrainte et par le remords et par la passion. Peut-être avait-elle dans le cœur un autre amour qu’elle ou-