Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/280

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trecht rouge, au coin d’une cheminée qui fumait, et dont le feu était enterré dans les cendres, se tenait une vieille femme assez mal vêtue, coiffée d’un de ces turbans que savent inventer les femmes anglaises quand elles arrivent à un certain âge, et qui auraient infiniment de succès en Chine, où le beau idéal des artistes est la monstruosité. Ce salon, cette vieille femme, ce foyer froid, tout eût glacé l’amour, si Paquita n’avait pas été là sur une causeuse dans un voluptueux peignoir, libre de jeter ses regards d’or et de flamme, libre de montrer son pied recourbé, libre de ses mouvements lumineux. Cette première entrevue fut ce que sont tous les premiers rendez-vous que se donnent des personnes passionnées qui ont rapidement franchi les distances et qui se désirent ardemment, sans néanmoins se connaître. Il est impossible qu’il ne se rencontre pas d’abord quelques discordances dans cette situation, gênante jusqu’au moment où les âmes se sont mises au même ton. Si le désir donne de la hardiesse à l’homme et le dispose à ne rien ménager ; sous peine de ne pas être femme, la maîtresse, quelque extrême que soit son amour, est effrayée de se trouver si promptement arrivée au but et face à face avec la nécessité de se donner, qui pour beaucoup de femmes équivaut à une chute dans un abîme, au fond duquel elles ne savent pas ce qu’elles trouveront. La froideur involontaire de cette femme contraste avec sa passion avouée et réagit nécessairement sur l’amant le plus épris. Ces idées, qui souvent flottent comme des vapeurs à l’alentour des âmes, y déterminent donc une sorte de maladie passagère. Dans le doux voyage que deux êtres entreprennent à travers les belles contrées de l’amour, ce moment est comme une lande à traverser, une lande sans bruyères, alternativement humide et chaude, pleine de sables ardents, coupée par des marais, et qui mène aux riants bocages vêtus de roses où se déploient l’amour et son cortège de plaisirs sur des tapis de fine verdure. Souvent l’homme spirituel se trouve doué d’un rire bête qui lui sert de réponse à tout ; son esprit est comme engourdi sous la glaciale compression de ses désirs. Il ne serait pas impossible que deux êtres également beaux, spirituels et passionnés, parlassent d’abord des lieux communs les plus niais, jusqu’à ce que le hasard, un mot, le tremblement d’un certain regard, la communication d’une étincelle, leur ait fait rencontrer l’heureuse transition qui les amène dans le sentier fleuri où l’on ne marche pas, mais où l’on roule sans néanmoins descendre. Cet état de l’âme est toujours