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proposa, sur la recommandation de cette dame, à Jules Desmarets, le plus avantageux marché qu’il fût possible de conclure, lui donna autant de fonds qu’il lui en fallait pour exploiter son privilége, et le lendemain l’heureux commis avait acheté la charge de son patron. En quatre ans, Jules Desmarets était devenu l’un des plus riches particuliers de sa compagnie ; des clients considérables vinrent augmenter le nombre de ceux que lui avait légués son prédécesseur. Il inspirait une confiance sans bornes, et il lui était impossible de méconnaître, dans la manière dont les affaires se présentaient à lui, quelque influence occulte due à sa belle-mère ou à une protection secrète qu’il attribuait à la Providence. Au bout de la troisième année, Clémence perdit sa marraine. En ce moment, monsieur Jules, que l’on nommait ainsi pour le distinguer de son frère aîné, qu’il avait établi notaire à Paris, possédait environ deux cent mille livres de rente. Il n’existait pas dans Paris un second exemple du bonheur dont jouissait ce ménage. Depuis cinq ans cet amour exceptionnel n’avait été troublé que par une calomnie dont monsieur Jules tira la plus éclatante vengeance. Un de ses anciens camarades attribuait à madame Jules la fortune de son mari, qu’il expliquait par une haute protection chèrement achetée. Le calomniateur fut tué en duel. La passion profonde des deux époux l’un pour l’autre, et qui résistait au mariage, obtenait dans le monde le plus grand succès, quoiqu’elle contrariât plusieurs femmes. Le joli ménage était respecté, chacun le fêtait. L’on aimait sincèrement monsieur et madame Jules, peut-être parce qu’il n’y a rien de plus doux à voir que des gens heureux ; mais ils ne restaient jamais long-temps dans les salons, et s’en sauvaient impatients de gagner leur nid à tire-d’ailes comme deux colombes égarées. Ce nid était d’ailleurs un grand et bel hôtel de la rue de Ménars, où le sentiment des arts tempérait ce luxe que la gent financière continue à étaler traditionnellement, et où les deux époux recevaient magnifiquement, quoique les obligations du monde leur convinssent peu. Néanmoins, Jules subissait le monde, sachant que, tôt ou tard, une famille en a besoin ; mais sa femme et lui s’y trouvaient toujours comme des plantes de serre au milieu d’un orage. Par une délicatesse bien naturelle, Jules avait caché soigneusement à sa femme et la calomnie et la mort du calomniateur qui avait failli troubler leur félicité. Madame Jules était portée, par sa nature artiste et délicate, à aimer le luxe. Malgré la terrible leçon du duel, quelques