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— Ne chantons pas victoire, madame, dit Maxime, j’entrevois d’énormes difficultés, je les vaincrai sans doute. Votre estime et votre protection sont un prix qui va me faire faire de grandes saletés ; mais ce sera les…

— Des saletés ? dit la duchesse en interrompant ce moderne condottiere et montrant dans sa physionomie autant de dégoût que d’étonnement.

— Et vous y tremperez, madame, puisque je suis votre procureur. Mais ignorez-vous donc à quel degré d’aveuglement madame de Rochefide a fait arriver votre gendre ?… je le sais par Nathan et par Canalis entre lesquels elle hésitait alors que Calyste s’est jeté dans cette gueule de lionne ! Béatrix a su persuader à ce brave Breton qu’elle n’avait jamais aimé que lui, qu’elle est vertueuse, que Conti fut un amour de tête auquel le cœur et le reste ont pris très peu de part, un amour musical enfin !… Quant à Rochefide, ce fut du devoir. Ainsi, vous comprenez, elle est vierge ! Elle le prouve bien en ne se souvenant pas de son fils, elle n’a pas depuis un an fait la moindre démarche pour le voir. À la vérité, le petit comte a douze ans bientôt, et il trouve dans madame Schontz une mère d’autant plus mère que la maternité, vous le savez, est la passion de ces filles. Du Guénic se ferait hacher et hacherait sa femme pour Béatrix ! Et vous croyez qu’on retire facilement un homme quand il est au fond du gouffre de la crédulité ?… Mais, madame, le Yago de Shakspeare y perdrait tous ses mouchoirs. L’on croit qu’Othello, que son cadet Orosmane, que Saint-Preux, René, Werther et autres amoureux en possession de la renommée, représentent l’amour ! Jamais leurs pères à cœur de verglas n’ont connu ce qu’est un amour absolu, Molière seul s’en est douté. L’amour, madame la duchesse, ce n’est pas d’aimer une noble femme, une Clarisse, le bel effort, ma foi !… L’amour, c’est de se dire : « Celle que j’aime est une infâme, elle me trompe, elle me trompera, c’est une rouée, elle sent toutes les fritures de l’enfer… » Et d’y courir, et d’y trouver le bleu de l’éther, les fleurs du paradis. Voilà comme aimait Molière, voilà comme nous aimons, nous autres mauvais sujets ; car, moi, je pleure à la grande scène d’Arnolphe !… Et voilà comment votre gendre aime Béatrix !… J’aurai de la peine à séparer Rochefide de madame Schontz, mais madame Schontz s’y prêtera sans doute ; je vais étudier son intérieur. Quant à Calyste et à Béatrix, il leur faut des coups de hache, des trahisons