Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

duc de Grandlieu qui, pris par la goutte avant le dîner, se trouvait seul. Quoique le gendre du duc de Grandlieu, le cousin de la duchesse, eût bien le droit de le présenter dans un salon où jamais il n’avait mis les pieds, Maxime de Trailles ne s’abusa pas sur la portée d’une invitation ainsi faite, il pensa que le duc ou la duchesse avaient besoin de lui. Ce n’est pas un des moindres traits de ce temps-ci que cette vie de club où l’on joue avec des gens qu’on ne reçoit point chez soi.

Le duc de Grandlieu fit à Maxime l’honneur de paraître souffrant. Après quinze parties de whist, il alla se coucher, laissant sa femme en tête-à-tête avec Maxime et d’Ajuda. La duchesse, secondée par le marquis, communiqua son projet à monsieur de Trailles, et lui demanda sa collaboration en paraissant ne lui demander que des conseils. Maxime écouta jusqu’au bout sans se prononcer, et attendit pour parler que la duchesse eût réclamé directement sa coopération.

— Madame, j’ai bien tout compris, lui dit-il alors après avoir jeté sur elle et sur le marquis un de ces regards fins, profonds, astucieux, complets, par lesquels ces grands roués savent compromettre leurs interlocuteurs. D’Ajuda vous dira que, si quelqu’un à Paris peut conduire cette double négociation, c’est moi, sans vous y mêler, sans qu’on sache même que je suis venu ce soir ici. Seulement, avant tout, posons les préliminaires de Léoben. Que comptez-vous sacrifier ?…

— Tout ce qu’il faudra.

— Bien, madame la duchesse. Ainsi, pour prix de mes soins vous me feriez l’honneur de recevoir chez vous et de protéger sérieusement madame la comtesse de Trailles…

— Tu es marié ?… s’écria d’Ajuda.

— Je me marie dans quinze jours avec l’héritière d’une famille riche mais excessivement bourgeoise, un sacrifice à l’opinion ! j’entre dans le principe même de mon gouvernement ! Je veux faire peau neuve. Ainsi madame la duchesse comprend de quelle importance serait pour moi l’adoption de ma femme par elle et par sa famille. J’ai la certitude d’être député par suite de la démission que donnera mon beau-père de ses fonctions, et j’ai la promesse d’un poste diplomatique en harmonie avec ma nouvelle fortune. Je ne vois pas pourquoi ma femme ne serait pas aussi bien reçue que madame de Portenduère dans cette société de jeunes femmes où brillent mes-