Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Allons donc, papa Reybert, dit Léger, nous n’attendons plus que votre grand homme.

— Le voici, dit l’intendant du comte de Sérisy en montrant Joseph Bridau.

Ni Georges ni Oscar ne purent reconnaître le peintre illustre, car il offrait cette figure ravagée si célèbre, et son maintien accusait l’assurance que donne le succès. Sa redingote noire était ornée d’un ruban de la Légion-d’Honneur. Sa mise, excessivement recherchée, indiquait une invitation à quelque fête campagnarde.

En ce moment, un commis, tenant une feuille à la main, sortit d’un bureau construit dans l’ancienne cuisine du Lion d’argent, et se plaça devant le coupé vide.

— Monsieur et madame de Canalis, trois places ! cria-t-il. Il passa à l’intérieur et nomma successivement : ─ Monsieur Bellejambe, deux places. ─ Monsieur de Reybert, trois places. ─ Monsieur… votre nom ? dit-il à Georges.

— Georges Marest, répondit tout bas l’homme déchu.

Le commis alla vers la rotonde devant laquelle s’attroupaient des nourrices, des gens de la campagne et de petits boutiquiers qui se disaient adieu ; après avoir empilé les six voyageurs, le commis appela par leurs noms quatre jeunes gens qui montèrent sur la banquette de l’impériale, et dit : ─ Roulez !… pour tout ordre de départ. Pierrotin se mit à côté de son conducteur, un jeune homme en blouse qui, de son côté, cria : ─ Tirez ! à ses chevaux.

La voiture, enlevée par les quatre chevaux achetés à Roye, gravit au petit trot la montée du faubourg Saint-Denis ; mais une fois arrivée au-dessus de Saint-Laurent, elle fila comme une malle-poste jusqu’à Saint-Denis, en quarante minutes. On ne s’arrêta point à l’auberge aux talmouses, et l’on prit à gauche de Saint-Denis la route de la vallée de Montmorency.

Ce fut en tournant là que Georges rompit le silence que les voyageurs avaient gardé jusqu’alors, en s’observant les uns les autres.

— On marche un peu mieux qu’il y a quinze ans, dit-il en tirant une montre d’argent, hein ! père Léger ?

— On a la condescendance de me nommer monsieur Léger, répondit le millionnaire.

— Mais c’est notre blagueur de mon premier voyage à Presles, s’écria Joseph Bridau. Eh bien ! avez-vous fait de nouvelles campagnes en Asie, en Afrique, en Amérique ? dit le grand peintre.