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trois mois à vivre, ta mère restera sans un sou de rente, ne dois-je pas réserver pour elle le peu d’argent dont je puis disposer ? Voilà ce qu’il m’était impossible de te dire devant ta mère. Soldat, tu mangeras du pain, et tu réfléchiras à la vie comme elle est pour les enfants sans fortune.

— Je puis tirer un bon numéro, dit Oscar.

— Après ? Ta mère a bien rempli ses devoirs de mère envers toi : elle t’a donné de l’éducation, elle t’avait mis dans le bon chemin, tu viens d’en sortir, que tenterais-tu ? Sans argent, on ne peut rien, tu le sais aujourd’hui ; et tu n’es pas homme à commencer une carrière en mettant habit bas et prenant la veste du manœuvre ou de l’ouvrier. D’ailleurs, ta mère t’aime, veux-tu la tuer ? Elle mourrait en te voyant tombé si bas.

Oscar s’assit et ne retint plus ses larmes qui coulèrent en abondance. Il comprenait aujourd’hui ce langage, si complétement inintelligible pour lui lors de sa première faute.

— Les gens sans fortune doivent être parfaits ! dit Moreau sans soupçonner la profondeur de cette cruelle sentence.

— Mon sort ne sera pas longtemps indécis, je tire après-demain, répondit Oscar. D’ici là je résoudrai mon avenir.

Moreau, désolé malgré son maintien sévère, laissa le ménage de la rue de la Cerisaie dans le désespoir. Trois jours après, Oscar amena le numéro vingt-sept. Dans l’intérêt de ce pauvre garçon, l’ancien régisseur de Presles eut le courage d’aller demander à monsieur le comte de Sérisy sa protection pour faire appeler Oscar dans la cavalerie. Or, le fils du Ministre d’État ayant été classé dans les derniers en sortant de l’École Polytechnique, était entré par faveur sous-lieutenant dans le régiment de cavalerie du duc de Maufrigneuse. Oscar eut donc, dans son malheur, le petit bonheur d’être, sur la recommandation du comte de Sérisy, incorporé dans ce beau régiment avec la promesse d’être promu fourrier au bout d’un an. Ainsi le hasard mit l’ex-clerc sous les ordres du fils de monsieur de Sérisy.

Après avoir langui pendant quelques jours, tant elle fut vivement atteinte par ces catastrophes, madame Clapart se laissa dévorer par certains remords qui saisissent les mères dont la conduite a été jadis légère et qui dans leur vieillesse inclinent au repentir. Elle se considéra comme une créature maudite. Elle attribua les misères de son second mariage et les malheurs de son fils à une vengeance de Dieu qui lui faisait expier les fautes et les plaisirs de sa jeunesse. Cette opi-