Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont eu la bonne part, les gueux ! ils ont mis la main sur les trésors. Ce Chosrew, qui n’avait pas oublié la leçon d’équitation que je lui avais donnée, me reconnut. Vous comprenez que mon affaire était faite, oh ! roide ! si je n’avais pas eu l’idée de me réclamer en qualité de Français et de troubadour auprès de monsieur de Rivière. L’ambassadeur, enchanté de se montrer, demanda ma liberté. Les Turcs ont cela de bon dans le caractère, qu’ils vous laissent aussi bien aller qu’ils vous coupent la tête, ils sont indifférents à tout. Le consul de France, un charmant homme, ami de Chosrew, me fit restituer deux mille talari ; aussi son nom, je puis le dire, est-il gravé dans mon cœur…

— Vous le nommez ? demanda monsieur de Sérisy.

Monsieur de Sérisy laissa voir sur sa figure quelques marques d’étonnement quand Georges lui dit effectivement le nom d’un de nos plus remarquables consuls généraux qui se trouvait alors à Smyrne.

— J’assistai, par parenthèse, à l’exécution du commandant de Smyrne, que le Padischah avait ordonné à Chosrew de mettre à mort, une des choses les plus curieuses que j’aie vues, quoique j’en aie beaucoup vu, je vous la raconterai tout à l’heure en déjeunant. De Smyrne, je passai en Espagne, en apprenant qu’il s’y faisait une révolution. Oh ! je suis allé droit à Mina, qui m’a pris pour aide-de-camp, et m’a donné le grade de colonel. Je me suis battu pour la cause constitutionnelle qui va succomber, car nous allons entrer en Espagne un de ces jours.

— Et vous êtes officier français ? dit sévèrement le comte de Sérisy. Vous comptez bien sur la discrétion de ceux qui vous écoutent.

— Mais il n’y a pas de mouchards, dit Georges.

— Vous ne songez donc pas, colonel Georges, dit le comte, qu’en ce moment on juge à la Cour des pairs une conspiration qui rend le gouvernement très sévère à l’égard des militaires qui portent les armes contre la France, et qui nouent des intrigues à l’étranger dans le dessein de renverser nos souverains légitimes…

Sur cette terrible observation, le peintre devint rouge jusqu’aux oreilles, et regarda Mistigris qui parut interdit.

— Eh bien ? dit le père Léger, après ?

— Si, par exemple, j’étais magistrat, mon devoir ne serait-il pas, répondit le comte, de faire arrêter l’aide-de-camp de Mina par