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guère admis une passion conjugale chez un vieil administrateur. Comment, dès les premiers jours de son mariage, fut-il fasciné par sa femme ? Comment souffrit-il d’abord sans se venger ? Comment n’osa-t-il plus se venger ? Comment laissa-t-il le temps s’écouler, abusé par l’espérance ? par quels moyens une femme jeune, jolie et spirituelle l’avait-elle mis en servage ? La réponse à toutes ces questions exigerait une longue histoire qui nuirait au sujet de cette scène, et que, sinon les hommes, du moins les femmes pourront entrevoir. Remarquons cependant que les immenses travaux et les chagrins du comte avaient contribué malheureusement à le priver des avantages nécessaires à un homme pour lutter contre de dangereuses comparaisons. Aussi le plus affreux des malheurs secrets du comte était-il d’avoir donné raison aux répugnances de sa femme par une maladie uniquement due à ses excès de travail. Bon, et même excellent pour la comtesse, il la laissait maîtresse chez elle ; elle recevait tout Paris, elle allait à la campagne, elle en revenait, absolument comme si elle eût été veuve ; il veillait à sa fortune et fournissait à son luxe, comme l’eût fait un intendant. La comtesse avait pour son mari la plus grande estime, elle aimait même sa tournure d’esprit ; elle savait le rendre heureux par son approbation : aussi faisait-elle tout ce qu’elle voulait de ce pauvre homme en venant causer une heure avec lui. Comme les grands seigneurs d’autrefois, le comte protégeait si bien sa femme, que porter atteinte à sa considération eût été lui faire injure impardonnable. Le monde admirait beaucoup ce caractère, et madame de Sérisy devait immensément à son mari. Toute autre femme, quand même elle eût appartenu à une famille aussi distinguée que celle des Ronquerolles, aurait pu se voir à jamais perdue. La comtesse était fort ingrate, mais ingrate avec charme. Elle jetait de temps en temps du baume sur les blessures du comte.

Expliquons maintenant le sujet du brusque voyage et de l’incognito du ministre.

Un riche fermier de Beaumont-sur-Oise, nommé Léger, exploitait une ferme dont toutes les pièces faisaient enclave dans les terres du comte, et qui gâtait sa magnifique propriété de Presles. Cette ferme appartenait à un bourgeois de Beaumont-sur-Oise, appelé Margueron. Le bail fait à Léger en 1799, moment où les progrès de l’agriculture ne pouvaient se prévoir, était sur le point de finir, et le propriétaire refusa les offres de Léger pour un nouveau bail. De-