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versation avait été rieuse et grave tour à tour, sans cesse égayée par les traits de Léon de Lora, qui passe pour l’homme le plus malicieux du Paris actuel, par un bon goût qui ne surprendra pas d’après le choix des convives, il avait été peu question de littérature ; mais enfin le papillonnement de ce tournoi français devait y arriver, ne fût-ce que pour effleurer ce sujet essentiellement national. Mais avant d’arriver au tournant de conversation qui fit prendre la parole au Consul-Général, il n’est pas inutile de dire un mot sur sa famille et sur lui.

Ce diplomate, homme d’environ trente-quatre ans, marié depuis six ans, était le portrait vivant de lord Byron. La célébrité de cette physionomie dispense de peindre celle du consul. On peut cependant faire observer qu’il n’y avait aucune affectation dans son air rêveur. Lord Byron était poëte, et le diplomate était poétique ; les femmes savent reconnaître cette différence qui explique, sans les justifier, quelques-uns de leurs attachements. Cette beauté, mise en relief par un charmant caractère, par les habitudes d’une vie solitaire et travailleuse, avait séduit une héritière génoise. Une héritière génoise ! cette expression pourra faire sourire à Gênes où par suite de l’exhérédation des filles, une femme est rarement riche ; mais Onorina Pedrotti, l’unique enfant d’un banquier sans héritiers mâles, est une exception. Malgré toutes les flatteries que comporte une passion inspirée, le Consul-Général ne parut pas vouloir se marier. Néanmoins, après deux ans d’habitation, après quelques démarches de l’ambassadeur pendant les séjours de la cour à Gênes, le mariage fut conclu. Le jeune homme rétracta ses premiers refus, moins à cause de la touchante affection d’Onorina Pedrotti qu’à cause d’un événement inconnu, d’une de ces crises de la vie intime si promptement ensevelies sous les courants journaliers des intérêts, que plus tard, les actions les plus naturelles semblent inexplicables. Cet enveloppement des causes affecte aussi très souvent les événements les plus sérieux de l’histoire. Telle fut du moins l’opinion de la ville de Gênes, où, pour quelques femmes, l’excessive retenue, la mélancolie du consul français ne s’expliquaient que par le mot passion. Remarquons en passant que les femmes ne se plaignent jamais d’être les victimes d’une préférence, elles s’immolent très bien à la cause commune. Onorina Pedrotti, qui peut-être aurait haï le consul si elle eût été dédaignée absolument, n’en aimait pas moins, et peut-être plus,