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Ces lettres expliquent parfaitement la situation secrète de la femme et du mari. Si pour Sabine son mariage était un mariage d’amour, Calyste y voyait un mariage de convenance, et les joies de la lune de miel n’avaient pas obéi tout à fait au système légal de la communauté. Pendant le séjour des deux mariés en Bretagne, les travaux de restauration, les dispositions et l’ameublement de l’hôtel du Guénic avaient été conduits par le célèbre architecte Grindot, sous la surveillance de Clotilde, de la duchesse et du duc de Grandlieu. Toutes les mesures avaient été prises pour qu’au mois de décembre 1838 le jeune ménage pût revenir à Paris. Sabine s’installa donc rue de Bourbon avec plaisir, moins pour jouer à la maîtresse de maison que pour savoir ce que sa famille penserait de son mariage. Calyste, en bel indifférent, se laissa guider volontiers dans le monde par sa belle-sœur Clotilde, et par sa belle-mère, qui lui surent gré de cette obéissance. Il y obtint la place due à son nom, à sa fortune et à son alliance. Le succès de sa femme, comptée comme une des plus charmantes, les distractions que donne la haute société, les devoirs à remplir, les amusements de l’hiver à Paris, rendirent un peu de force au bonheur du ménage en y produisant à la fois des excitants et des intermèdes. Sabine, trouvée heureuse par sa mère et sa sœur qui virent dans la froideur de Calyste un effet de son éducation anglaise, abandonna ses idées noires ; elle entendit envier son sort par tant de jeunes femmes mal mariées, qu’elle renvoya ses terreurs au pays des chimères. Enfin, la grossesse de Sabine compléta les garanties offertes par cette union du genre neutre, une de celles dont augurent bien les femmes expérimentées. En octobre 1839, la jeune baronne du Guénic eut un fils et fit la folie de le nourrir, selon le calcul de toutes les femmes en pareil cas. Comment ne pas être entièrement mère quand on a eu son enfant d’un mari vraiment idolâtré ? Vers la fin de l’été suivant, en août 1840, Sabine était donc encore nourrice. Pendant un séjour de deux ans à Paris, Calyste s’était tout à fait dépouillé de cette innocence dont les prestiges avaient décoré ses débuts dans le monde de la passion. Calyste s’était lié naturellement avec le jeune duc Georges de Maufrigneuse, marié comme lui nouvellement à une héritière, Berthe de Cinq-Cygne ; avec le vicomte Savinien de Portenduère, avec le duc et la duchesse de Rhétoré, le duc et la duchesse de Lenoncourt-Chaulieu, avec tous les habitués du salon de sa belle-mère. La Richesse a des heures funestes, des oisivetés que Paris sait, plus qu’aucune autre capitale, amuser, char-