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La dernière lettre écrite par Modeste, et que voici, permet d’apercevoir l’île des Faisans où les méandres de cette correspondance conduisaient ces deux amants.



XXIII.
à monsieur de canalis.


« Soyez, dimanche, au Havre ; entrez à l’église, faites-en le tour, après la messe d’une heure, une ou deux fois, sortez sans rien dire à personne, sans faire aucune question à qui que ce soit, mais ayez une rose blanche à votre boutonnière. Puis, retournez à Paris, vous y trouverez une réponse. Cette réponse ne sera pas ce que vous croyez ; car je vous l’ai dit, l’avenir n’est pas encore à moi… Mais ne serais-je pas une vraie folle de vous dire oui, sans vous avoir vu ! Quand je vous aurai vu, je puis dire non, sans vous blesser : je suis sûre de rester inconnue. »



Cette lettre était partie la veille du jour où la lutte inutile entre Modeste et Dumay venait d’avoir lieu. L’heureuse Modeste attendait donc avec une impatience maladive le dimanche où les yeux donneraient tort ou raison à l’esprit, au cœur, un des moments les plus solennels dans la vie d’une femme et que trois mois d’un commerce d’âme à âme rendait romanesque autant que le peut souhaiter la fille la plus exaltée. Tout le monde, excepté la mère, avait pris la torpeur de cette attente pour le calme de l’innocence. Quelque puissantes que soient et les lois de la famille et les cordes religieuses, il est des Julies d’Étanges, des Clarisses, des âmes remplies comme des coupes trop pleines et qui débordent sous une pression divine. Modeste n’était-elle pas sublime en déployant une sauvage énergie à comprimer son exubérante jeunesse, en demeurant voilée ? Disons-le, le souvenir de sa sœur était plus puissant que toutes les entraves sociales ; elle avait armé de fer sa volonté pour ne manquer ni à son père ni à sa famille. Mais quels mouvements tumultueux ! et comment une mère ne les aurait-elle pas devinés ?

Le lendemain Modeste et madame Dumay conduisirent, vers midi,