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prise pour notre odieuse rivale !… que dirait-elle ? Mais c’est une prostitution ! je ne suis plus moi, j’ai honte. Je suis en proie à une envie furieuse de fuir Guérande et les sables du Croisic.

25 août.

» Décidément, je retourne aux ruines du Guénic. Calyste, assez inquiet de mon inquiétude, m’emmène. Ou il connaît peu le monde s’il ne devine rien, ou s’il sait la cause de ma fuite, il ne m’aime pas. Je tremble tant de trouver une affreuse certitude si je la cherche, que je me mets, comme les enfants, les mains devant les yeux pour ne pas entendre une détonation. Oh ! ma mère, je ne suis pas aimée du même amour que je me sens au cœur. Calyste est charmant, c’est vrai ; mais quel homme, à moins d’être un monstre, ne serait pas, comme Calyste, aimable et gracieux, en recevant toutes les fleurs écloses dans l’âme d’une jeune fille de vingt ans, élevée par vous, pure comme je le suis, aimante, et que bien des femmes vous ont dit être belle…

Au Guénic, 18 septembre.

» L’a-t-il oubliée ? Voilà l’unique pensée qui retentit comme un remords dans mon âme ! Ah ! chère maman, toutes les femmes ont-elles eu comme moi des souvenirs à combattre ?… On ne devrait marier que des jeunes gens innocents à des jeunes filles pures ! Mais c’est une décevante utopie, il vaut mieux avoir sa rivale dans le passé que dans l’avenir. Ah ! plaignez-moi, ma mère, quoiqu’en ce moment je sois heureuse, heureuse comme une femme qui a peur de perdre son bonheur et qui s’y accroche !… Une manière de le tuer quelquefois, dit Clotilde.

» Je m’aperçois que depuis cinq mois je ne pense qu’à moi, c’est-à-dire à Calyste. Dites à ma sœur Clotilde que ses tristes sagesses me reviennent parfois ; elle est bien heureuse d’être fidèle à un mort, elle ne craint plus de rivale. J’embrasse ma chère Athénaïs, je vois que Juste en est fou. D’après ce que vous m’en dites dans votre dernière lettre, il a peur qu’on ne la lui donne pas. Cultivez cette crainte comme une fleur précieuse. Athénaïs sera la maîtresse, et moi qui tremblais de ne pas obtenir Calyste de lui-même, je serai servante. Mille tendresses, chère maman. Ah ! si mes terreurs n’étaient pas vaines, Camille Maupin m’aurait vendu sa fortune bien cher. Mes affectueux respects à mon père. »